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Le règne de l’hyper-centre ?

Dernière mise à jour : 13 oct. 2022

Depuis les années 80, un processus de (re)centrage est à l’œuvre en France. (Re)centrage politique et économique autour d’une « profession de foi » d’inspiration néolibérale et européenne, largement encadrée et tempérée par la culture interventionniste de la puissance publique. « Profession de foi » qui s’adosse à des valeurs progressistes, pénétrées par les valeurs de la gauche culturelle au premier chef, auxquelles résiste encore un universalisme déclinant qui a longtemps fait consensus entre la droite et la gauche.


E. Macron est le clou de cette évolution avec son élection à la Présidence de la République en 2017, et plus encore avec sa réélection récente. Si l’écart avec son opposante, M. Le Pen, a régressé entre les scrutins de 2017 et de 2022, il est resté confortable, et la constitution de ce grand pôle central autour d’E. Macron semble bien s’achever au lendemain des élections présidentielles de 2022, qui voient se produire l’effondrement des partis traditionnels que sont le Parti Socialiste (PS) et Les Républicains (LR)[1].


Pourtant, à l’occasion des élections législatives, une « droite nationale » en forte progression, une gauche revigorée par son union[2] et une droite « républicaine » très affaiblie surprennent le camp du président fraîchement élu[3]. Et les discours de changer parmi les commentateurs, qui soulignent l’affaiblissement « spectaculaire » du courant présidentiel, le « revers » voire la « claque » que ce dernier aurait reçue de l’électorat.


Evoquons d’abord l’histoire de ce grand mouvement de recentrage qui aboutit à ce que l’on peut appeler « l’hyper-centre », constitué sous la houlette d’E. Macron, avant de décrire plus en profondeur la dynamique de cette force qui se veut le centre de gravité du pays, pour enfin s’interroger, voire spéculer, sur sa postérité.


Dans les années 60, l’expression de nouvelles aspirations sociales influencées par les valeurs de la gauche culturelle, qui contestent et déstabilisent le Gaullisme dominant. Dans les années 70, la constitution d’un projet centriste, libéral et européen, faisant écho à certaines des nouvelles aspirations sociales, et voulant rassembler la majorité des Français dans le dépassement de la vieille lutte des classes, qui irrigue alors la gauche française en profondeur. A gauche précisément, le choix d’un positionnement en rupture de la part du PS, s’exprimant dans son rapprochement avec le PCF, alors principale force d’opposition. Rapprochement qui apparaît comme le prélude à son étouffement et au phagocytage de son électorat.


A partir des années 60, face à des valeurs traditionnelles longtemps prédominantes qui accompagnent la France de l’après-guerre – l’autorité, l’ordre, la tradition, le patriotisme et l’intérêt national, l’effort, le mérite… –, un certain nombre de valeurs s’affirment à partir des nouvelles aspirations de la société.


Ces valeurs, qui s’inscrivent dans un contexte de transformation sociale et culturelle, sont influencées par la gauche culturelle, dans la mouvance des protestations étudiantes qui se cristallisent en France avec Mai 68. Sans éclipser les valeurs de la gauche sociale[4], influencée par le marxisme et insistant sur l’exploitation économique et les inégalités sociales, que le gauche doit s’employer à corriger, voire à éradiquer, les valeurs de la gauche culturelle marquent une évolution par rapport à ces dernières : elles remettent en cause l’autorité et la tradition incarnées et légitimées par les générations précédentes – et singulièrement par celle issue de la guerre. Elles recherchent l’émancipation de l’individu, affirment le refus du productivisme, la quête du « vrai » et de l’authenticité, la préoccupation écologique, le régionalisme, le féminisme, les droits des minorités… Ces valeurs ébranlent les différentes formes d’encadrement et mettent à mal les processus de régulation sociale. La jeunesse, qui est au cœur de ce mouvement transnational de protestation et de revendication, devient un nouveau groupe social, et tend à s’affirmer comme une valeur à part entière.


Au plan politique, la stabilité reste toutefois de mise, dans la droite ligne du Gaullisme dominant depuis le retour du Général au pouvoir en 1958. La gauche veut faire face, sans peser véritablement en dehors d’un PCF hégémonique de ce côté-là de l’échiquier politique. Désunie du fait d’histoires, de programmes, d’alliances ou de modes d’action différents, elle est encore loin du pouvoir, qu’elle ne veut d’ailleurs pas conquérir de la même façon[5]. Si la surprise des élections présidentielles de 1965 signale l’usure du Gaullisme et constitue – rétrospectivement – le signe annonciateur d’un changement d’époque, la gauche reste structurellement une force d’opposition.


Avec l’arrivée au pouvoir de V. Giscard d’Estaing (1974-1981), la France adopte un programme centriste, libéral et européen, qui veut « réveiller » une société française que le nouveau président juge par trop immobile. Il s’agit de la moderniser, sous le signe de l’innovation, de l’initiative et de l’imagination. Ce projet porte l’idée d’un « grand groupe central » agrégeant les Français, plutôt qu’une société de la lutte des classes, figée dans les fractures et en proie à des affrontements multiples.


Par le biais d’une libéralisation de nature culturelle, le septennat de V. Giscard d’Estaing fournit un réceptacle à un certain nombre des valeurs issues des nouvelles revendications de la société, en rupture d’avec la France de l’après-guerre[6]. On pense à certaines mesures fortes prises par le pouvoir de l’époque : la nomination de cinq femmes au sein du gouvernement (une première), l’attention à la jeunesse avec, notamment, l’abaissement de la majorité électorale de vingt-et-un ans à dix-huit ans, la création du premier Secrétariat d’État à la condition féminine, la fin du monopole public de la radio et de la télévision avec la transformation du statut de L'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), le remboursement de la contraception par la Sécurité sociale, le divorce pour cause de séparation de fait, mais surtout, de façon emblématique, la loi légalisant et encadrant l’avortement.


Le projet voulu par le président est une entreprise nouvelle et acte, en quelque sorte, la sortie de la France du temps de l’après-guerre, coïncidant avec la fin des trente glorieuses. L’héritage de cette aspiration centriste, libérale et européenne sera endossé par l’Union pour la Démocratie Française (UDF), créée en 1978 pour soutenir l’action du président.


Mais l’entreprise de V. Giscard d’Estaing s’inscrit dans un contexte de forte opposition entre la gauche et la droite, qui restera prédominante dans les mentalités jusque dans les années 1990[7]. Le grand pôle central voulu et incarné par ce président constitue un axe majeur de la vie politique française mais sans aspirer des oppositions qui se structurent et se renforcent autour d’autres choix politiques, économiques et sociaux.


A gauche, le PCF représente le premier parti jusqu’au milieu des années 70[8], devant un PS récemment fondé[9], que F. Mitterrand s'emploie à développer dans une union où le plus petit d’alors, qui est en train de réussir son essor, phagocyte l’électorat du plus gros, qui est en train de subir son déclin. L’intention de F. Mitterrand est très consciente : sous son impulsion, le PS organise son unité et adopte un positionnement politique de rupture[10] ; il « harponne » le PCF avec le programme commun de la gauche[11] ; au lendemain de la signature de cette alliance, F. Mitterrand énonce clairement son projet devant l'Internationale socialiste : « Notre objectif fondamental, c'est de refaire un grand parti socialiste sur le terrain occupé par le PCF lui-même afin de faire la démonstration que, sur les cinq millions d'électeurs communistes, trois millions peuvent voter socialiste. »[12]. C’est dans ce contexte que F. Mitterrand était devenu le seul candidat de la gauche aux élections présidentielles de 1974[13].


Au plan des valeurs, le PCF se tient longtemps éloigné des nouvelles aspirations. Jusque dans les années 80, il adopte un discours nationaliste et protectionniste, voire marqué par des positions xénophobes : « A la fin des années 1970 il produit toute une série d'affiches « Produisons français ! » et d'autocollants à coller sur les produits importés. »[14]. Face aux difficultés mises par les autorités de New York pour l'atterrissage du Concorde, le PCF organise une manifestation le 12 juillet 1977 avec les slogans : « Boeing go home », « Avec le PCF défendons l'industrie aéronautique. Il y va de l'intérêt national », « Ils veulent briser les ailes du Concorde, défendons-le ! », « Giscard, Chirac assez d'abandons ! Pas de Concorde à New York, pas de Boeing à Paris ! », « Ils ferment nos usines. Ils investissent à l'étranger : Fabriquons français ! ».


Pour sa part, le PS, délié de l’union de la gauche avec le PCF depuis 1977, se saisit des nouvelles valeurs avec un intérêt marqué pour les thèmes féministes, écologistes ou régionalistes[15].


Dans les années 80 et 90, la poursuite avec l’UDF du projet centriste, libéral et européen hérité du Giscardisme. A gauche, avec le PS au projet originellement transformateur (« Changer la vie »)[16], mais aussi à droite, avec le Rassemblement pour la République (RPR) d’inspiration gaullienne, le choix de l’Europe et un tournant néolibéral, toujours encadré par les spécificités étatistes françaises. Choix qui provoquent l’affaiblissement du clivage gauche-droite, devenu manifeste autour de l’adoption du traité de Maastricht (1992). Au plan des valeurs, la pénétration de la gauche culturelle et des nouvelles aspirations de la société, convergeant dans un progressisme irriguant de la gauche vers la droite, et trouvant dans le libéralisme un réceptacle et un vecteur.


A partir des années 80, c'est autour de l’inspiration libérale et européenne, qui demeure teintée des spécificités étatistes françaises, que vont se (re)centrer les courants politiques et leurs doctrines économiques.


Ce mouvement implique la gauche, devenue gauche de gouvernement, c’est-à-dire le PS et ses alliés[17], mais également la droite, avec le RPR d’inspiration gaullienne, tandis que l’UDF, dépositaire du projet giscardien de centre-droit, poursuit sa route.


A gauche, avec l’élection de F. Mitterrand en 1981, l'expérience de la rupture, née sur le papier avec le programme commun de la gauche en 1972, ne dure que deux ans. En 1983, la gauche au pouvoir fait le choix de l’Europe, ce qui n’est pas évident : si l’engagement européen de F. Mitterrand est ancien, la France est engagée dans une politique économique et sociale nouvelle, et se pose la question de se mettre (temporairement) en congé du Système monétaire européen, alors que le franc connaît trois dévaluations entre 1981 et 1983. Quoi qu’il en soit, « le président de la République et le premier gouvernement Mauroy (…), soucieux d'asseoir la crédibilité (…) du « socialisme à la française », optent pour la discipline européenne »[18].


Ce choix européen s’accompagne de la conversion de la gauche au pouvoir à l’économie de marché, tandis que l’inspiration néolibérale triomphe en dehors de nos frontières, incarnée par M. Thatcher au Royaume-Uni à partir de 1979, et par R. Reagan aux Etats-Unis à partir de 1980. Le PCF aurait pu « se refaire » sur cette « trahison » programmatique du PS ; il n'en est rien et il a amorcé sa sortie de l'histoire.


Dès lors que le choix de l’Europe est prononcé, l’engagement de F. Mitterrand est majeur dans la construction européenne. Il excède largement les positions que contenaient sur ce sujet ses « 110 propositions pour la France »[19], qui devaient servir en 1981 d’orientations pour un programme de gouvernement. Certes, on peut voir une certaine cohérence entre l’Acte unique européen de 1986 et la proposition 11, qui réclame « l’application stricte du traité de Rome (Marché commun) », puisque l’acte unique veut « rendre effectives les libertés de circulation accordées en droit par le traité de Rome sous le nom de marché commun »[20]. Il va toutefois plus loin en prévoyant d’achever avant le 1er janvier 1993 la réalisation du marché intérieur tel un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée » (article 7 du traité CEE). Mais c’est plus encore l’Union européenne (instituée avec le traité de Maastricht de 1992) qui constitue une étape capitale. En onze ans, on sera passé d’une union douanière, encore entravée par de nombreuses barrières, à une association politique d’Etats souverains dont le marché intérieur, désormais achevé, n’est plus tant un horizon qu’un acquis.


A droite, le RPR, fondé en 1976 par J. Chirac en contestation du Giscardisme et pour porter les ambitions de son fondateur, affirme d’abord une orientation souverainiste et sociale, qui le conduit à un fort scepticisme européen et à une opposition marquée à tout fédéralisme. J. Chirac fustige le « capitalisme sauvage » et affirme que les gaullistes ne doivent pas être confondus avec les « tenants du libéralisme classique » et ni la « droite » assimilée au giscardisme et au centrisme[21]. Dans ses statuts, le RPR veut « soutenir une politique fondée sur le respect intransigeant de la souveraineté du peuple et de l'indépendance nationale (…) ». J. Chirac s’en prend à la politique « antinationale » de l’Europe fédérale d’un « parti de l’étranger » (expression désignant alors l’UDF…)[22].


Ce parti évolue ensuite vers un positionnement plus libéral et europhile à partir du milieu des années 80. Dans le discours économique du RPR, il est beaucoup question de la libération des énergies des carcans bureaucratiques, de rejet de l’assistanat, de privatisations. Parmi ses principaux projets, dans la perspective des législatives de 1986, on trouve la dénationalisation totale, y compris celle des banques et des entreprises publiques mises sous ce régime par le général de Gaulle au lendemain de la guerre.


En matière de construction européenne, le RPR finit par reprendre à son compte l’essentiel des positions et des réalisations françaises, giscardiennes d’abord[23], puis dans l’engagement de F. Mitterrand, ce qui dessinera une véritable continuité française trans-partisane sur la question européenne.


C’est probablement sur la question de l’immigration que le RPR adopte des positions résolument différentes de la gauche au pouvoir. Sans doute sous l’influence du Front National (FN) qui est alors en pleine ascension, le discours du RPR en la matière est d’une grande fermeté[24], crescendo jusqu’au début des années 90, comme l’attestent les mesures préconisées lors des états généraux de Villepinte[25] puis certaines déclarations de ses chefs de file[26]. Par la suite, tout en continuant d’appeler au contrôle de l’immigration, il ne reprend pas les affirmations de Villepinte avec la même vigueur, tandis que son passage au pouvoir entre 1993 et 1995 n’infléchit pas la dynamique des flux migratoires[27].


Dans les années 80, les valeurs héritées de la gauche culturelle et des nouvelles aspirations de la société s’affirment et poursuivent leur pénétration de la société sous F. Mitterrand. Ces valeurs s’inscrivent dans un progressisme qui, avec l’explosion des radios libres et la création de SOS Racisme en 1984, dispose de relais et d’ambassadeurs du combat culturel de la gauche auprès d’une jeunesse à laquelle elle s’adresse tout particulièrement.


Face à la montée de l’extrême droite avec le FN, dont d’aucuns ont pu signaler qu’elle avait été encouragée par la majorité de l’époque[28], la gauche de F. Mitterrand réussit avec une grande habileté stratégique à faire de ces valeurs en progression un critère clé de départage entre les « démocrates » et les « autoritaires », entre les « progressistes » et les « réactionnaires », entre les « Républicains » et ceux qui s’en prennent à la République. Ces valeurs érigées en ligne de fracture entre le « camp du bien » et le « camp du mal » contribuent grandement à tétaniser la droite, soumise au « front républicain » et prise dans l’interdit moral de nouer des alliances honteuses (avec l’extrême droite) qui la mettraient au ban de la République, incarnation du contrat social français et rempart face aux « extrêmes »[29].


Sous l’effet de la transformation de la société, et grâce à la victoire culturelle et politique qu’elles remportent sous les présidences de F. Mitterrand, ces valeurs irriguent de la gauche vers la droite. Il est en effet de plus en plus difficile à cette dernière de réaffirmer, quitte à les refonder, ses valeurs propres[30], vite dénoncées comme passéistes et décalées des aspirations de l’époque, et singulièrement de celles de la jeunesse. Le déplacement opéré par la gauche et la droite vers le positionnement néolibéral de l’Europe ne l’aide pas non plus à se singulariser en la matière. A partir des années 80, au plan des valeurs, la droite est convoquée sur un terrain qui n’est originellement pas le sien et joue, en quelque sorte, « à l’extérieur ».


Parmi ces valeurs, l’émancipation de l’individu, l’authenticité et le droit à la différence, le féminisme, les droits des minorités…, vont trouver dans le néolibéralisme triomphant un réceptacle et un vecteur. En effet, dans son acception politique, la vision libérale du monde promeut et veut protéger la liberté des citoyens, considérée comme « le point d'aboutissement d'une création continue, et non [comme] une espèce d'état de nature qu'il conviendrait de préserver intact »[31]. « Le libéralisme parfait ou pur serait réalisé dans une société dont chaque membre serait un centre autonome de décision, qui consentirait des délégations provisoires et partielles du pouvoir et ne s'inclinerait devant la majorité qu'en se réservant le droit ultime à la révolte »[32]. La vision libérale donne droit de cité à la singularité et aux particularismes pour peu qu’ils ne contreviennent pas à l’ordre politique et social. Elle accepte et même encourage la diversité sociale, qu’elle voit comme la résultante des libertés individuelles, et qui est même indispensable pour qu’existe une société suffisamment fluide, où la mobilité sociale est possible.


En 1992, le traité de Maastricht fait émerger, voire cristallise, le nouveau positionnement trans-partisan des forces politiques sur la question libérale et européenne. Poursuivant son positionnement réformiste dans le cadre des engagements européens de la France, la gauche de gouvernement, avec le PS en tête, soutient officiellement l’adoption du Traité, non sans provoquer en son sein de nombreux soubresauts et fractures[33]. La droite gagnée à un positionnement plus libéral et europhile connaît aussi ses tiraillements et ses oppositions irréconciliables[34]. Le traité de Maastricht engendre, de façon spectaculaire, de nouvelles lignes de départage : les partisans de la souveraineté du pays et les tenants d’une plus grande intégration européenne épousant ses orientations libérales regroupent, de part et d’autre du « oui » et du « non », des forces et des personnalités politiques traditionnellement opposées. Traversés et secoués par cet affrontement qui transcende le clivage gauche / droite, les partis sont ébranlés sur leur socle même.


Il faut toutefois garder à l’esprit que l’inspiration néolibérale et européenne, au regard de laquelle les forces politiques françaises se déterminent depuis les années 80, n’en est pas moins très nuancée par des spécificités françaises marquées et durables. Ces spécificités tiennent à la tradition dirigiste de la France, et au rôle prégnant de son État centralisateur tout au long de son histoire moderne. Si le paradigme néolibéral et européen est bien à l’œuvre et influe sur les politiques menées, il constitue davantage un horizon, une tendance, plus qu’il n’a pris le pas sur la culture étatiste qui veille. Dans un pays libéral, hors contexte exceptionnel (covid...), le budget serait équilibré, les impôts faibles et la dette publique limitée... Au lieu de quoi le déficit public devrait atteindre cinq points de PIB en 2022, le taux de prélèvements obligatoires s’établit à 44,3 % en 2021, et la dette publique représente 112,5 % du PIB fin 2021. Nombre de décisions sont prises dans une logique de « compensation » : dans le domaine de la fiscalité, par exemple, on diminue les cotisations sociales tout en augmentant la CSG… Le réflexe dirigiste n’est jamais loin et mâtine les avancées néolibérales, tel un « garde-fou ». Dans les faits, le dirigisme applique son filtre et en encadre les effets. Il maintient ainsi des mœurs économiques et sociales hybrides. L’appropriation française du néolibéralisme qui s’impose en Europe ne tient donc pas du néolibéralisme échevelé, et l’agenda réformateur qui découle des engagements européens du pays compose avec le poids de la puissance publique, en pesant sur la nature, le rythme et les modalités de mise en œuvre des réformes décidées au plan européen.


A partir des années 2000, l’horizon néolibéral et européen installé dans la gauche comme dans la droite de gouvernement poursuit sa course, dans un jeu plus ou moins marqué de nuances et d’oppositions entre les quinquennats de J. Chirac (2002-2007), de N. Sarkozy (2007-2012) et de F. Hollande (2012-2017), sans changement de donne au fond. Mais aussi l’affirmation d’un centre qui prend ses distances avec la droite, et se veut la convergence des bonnes volontés et des compétences, dans le dépassement du clivage gauche-droite. Au plan des valeurs, un progressisme qui poursuit ses conquêtes autour de l’émancipation de l’individu, du féminisme, de l’écologie, de l’antiracisme, des minorités et des identités, pouvant compter sur une société de plus en plus ouverte à ses avancées. A partir de 2017, « l’accomplissement » macronien de l’hyper-centre, progressisme d’inspiration néolibérale et européenne rattrapé par l’étatisme français porté à son comble sous l’effet des crises.


A partir des années 2000, le progressisme des années 80 et 90 poursuit ses conquêtes et se recompose, autour de l’émancipation de l’individu, du féminisme, de l’écologie, de l’antiracisme, des minorités et des identités, pouvant compter sur une société de plus en plus ouverte à ses avancées, malgré des épisodes de forte réaction, toutefois incapables d’en freiner la marche[35].


Le paradigme néolibéral et européen, où ces valeurs s’épanouissent, va aspirer la droite et la gauche de gouvernement dans un centre qui veut consacrer le dépassement des clivages partisans.


Plusieurs évènements clés en balisent le chemin, où l’on voit s’effacer la bipolarisation gauche-droite.


Avec le « plébiscite » chiraquien de 2002[36], les votes du premier tour « s’agglutinent » au second tour, sans cohérence programmatique, sur le président sortant, en rempart contre le FN ; le front républicain opère alors à plein. Ce phénomène tend à brouiller un peu plus encore les contours de la droite et de la gauche, et dessine « d’un coup » un large espace, certes « liquide » et dicté par des circonstances particulières, mais d’où une recomposition politique devient possible, au moins dans les esprits, à laquelle il faudra bien sûr donner un contenu et une incarnation.


En 2002 toujours, à droite et au centre-droit, l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP), qui deviendra Les Républicains (LR) en 2015, prend la main et fusionne en un seul parti des forces qui, depuis les années 70, s’étaient structurées en deux pôles distincts (l’UDF et le RPR), certes alliés mais selon des relations parfois tumultueuses au cours de leur histoire. En cela, l’UMP scelle la prédominance de l’orientation néolibérale et européenne autour de laquelle ces deux forces s’allient et renoncent à exprimer leur identité propre. Certes, la dualité entre le centre droit d'inspiration libérale et européenne et la droite attachée au souverainisme ne disparaît pas au sein de l’UMP mais elle s’invisibilise aux yeux de l’électorat. Le souverainisme, vaincu et en retrait au sein du RPR depuis son tournant des années 80, s’y amenuise davantage encore. La critique de l’orientation libérale et européenne et la défense de la souveraineté sont ainsi laissées aux « extrêmes » (le FN).


A gauche, il est toujours resté des forces radicalement opposées à l’Europe néolibérale[37], mais leur poids n’est que marginal, et le restera jusqu’à l’ascension de La France Insoumise (LFI), créée en 2016. Jusqu’à la mandature de F. Hollande entre 2012 et 2017, le PS reste la première force de gauche, et colore cet espace de l’échiquier politique de l’inspiration néolibérale et européenne.


Le 29 mai 2005, les Français votent « Non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE). Au plan politique, la campagne de ce référendum fait écho à celle pour l’adoption du traité de Maastricht en 1992. On assiste en effet à des coalitions trans-partisanes tantôt en faveur du oui, tantôt en faveur du non[38], montrant à nouveau combien le paradigme néolibéral et européen constitue la grande ligne de fracture politique. Cette fois-ci, le rejet est net[39], ce qui marque pour la première fois dans les urnes le refus d’une Europe libérale qu’a paru incarner le projet de Traité. Pour autant, l’élection de N. Sarkozy en 2007 permettra l’adoption du traité de Lisbonne par la voie parlementaire, traité qui reprendra un certain nombre des dispositions importantes du projet de Traité constitutionnel européen[40]. Deux ans après la victoire du « Non », le pays se trouve ainsi confirmé dans l’horizon néolibéral et européen, qu’il n’aura jamais quitté.


En 2007, F. Bayrou fonde le Modem (Mouvement démocrate), signant de fait la disparition de l’UDF. Avec sa percée au premier tour des élections présidentielles, F. Bayrou redonne corps à un centre libéral et européen émancipé de son alliance historique avec la droite, et qui veut représenter la convergence des bonnes volontés et des compétences dans le refus du clivage, devenu selon lui largement factice et stérile, entre la gauche et la droite de gouvernement.


Il faudra encore deux élections présidentielles (2007 et 2012) pour que la gauche et la droite de gouvernement cèdent le pas, usées par un pouvoir qu’elles ont exercé en alternance tout au long de la Vème République, et accumulant les critiques sur leurs bilans. En 2017 puis en 2022, vient le temps de « l’accomplissement » macronien de l’hyper-centre, progressisme d’inspiration néolibérale et européenne rattrapé par l’étatisme français porté à son comble sous l’effet des crises.


L’hyper-centre et sa dynamique…


L’hyper-centre qui s’affirme avec l’ascension fulgurante d’E. Macron en 2017, puis sa reconduction en 2022, est la quintessence du recentrage français à l’œuvre depuis les années 80.


Si on désigne cet espace central par le vocable d’hyper-centre, c’est pour indiquer sa propension à se faire dominateur et sûr de lui. Il exprime une visée hégémonique, et veut constituer un pôle d'attraction pour les autres forces, qu’il rallie ou dont il veut contenir le pouvoir d’influence quand il n’y parvient pas.


Toutes choses égales par ailleurs, on peut se demander si l’hyper-centre ne renvoie pas à l’expérience gaullienne, qui a tant marqué l’histoire du pays, d’autant qu’elle s’est inscrite dans une période de croissance et de prospérité inégalée depuis. En effet, « l’originalité du gaullisme en tant que force politique organisée consistait dans la combinaison de positions politiques typiquement dissociées les unes des autres : il était en faveur la fois du nationalisme, de la participation des travailleurs, de la philosophie du marché libre, de la planification publique et de l’intervention de l’Etat. »[41].


Plus proche de nous, l’hyper-centre s’inscrit dans la filiation du projet giscardien, et sa « société libérale avancée », sans s’y réduire pour autant. Il fusionne les aspirations françaises tournées historiquement vers la construction européenne, l’orientation néolibérale devenue le langage de la globalisation, et un progressisme puisant à la gauche culturelle, qui promeut les conquêtes de son temps. Le « tout » en posant le dépassement et la réconciliation des clivages (« Et de gauche et de droite », « en même temps »).


Pour autant, le large espace qu’il veut former n’est pas sans limites : il pose une nouvelle rivalité entre progressistes et conservateurs, voire entre démocrates et populistes.


A l’épreuve, l’hyper-centre ne s’affranchit pas de la culture interventionniste de l’Etat, qui a rattrapé son réformisme sous l’effet de la crise des gilets jaunes, de la crise du covid[42], puis désormais compte tenu de la crise climatique, de la crise de l’énergie et des matières premières ainsi que d’un contexte géopolitique très conflictuel. Au fond, il aboutit à un pragmatisme, alliage de l’inspiration libérale, à laquelle il accorde philosophiquement sa préférence, et de la tradition dirigiste française, dont il use sans hésitation selon les nécessités et qui convient bien à son mode d’exercice du pouvoir.


La volonté de concilier des valeurs très différentes, voire antinomiques, mais « dans les faits » le centre de gravité de l'hyper-centre puise à la gauche culturelle


Avec E. Macron, l'hyper-centre voudrait constituer une sorte de point d'équilibre entre plusieurs pôles de valeurs, en tension les uns avec les autres, tel le miroir d'une société « multiple et divisée », dont il faut inclure toutes les composantes. L’hyper-centre veut leur donner droit de cité et acte leur coexistence plus qu’il ne cherche à en faire une synthèse (même si la chose est difficile, reconnaissons-le).


Quels sont ces différents pôles de valeurs ?


Sur les décombres des matrices unificatrices (le catholicisme, le communisme...) et sur la remise en cause de l'autorité et de la tradition, on peut évoquer d’abord la percée de l'individu et l'extension du domaine de ses droits, autour de l'authenticité et de la liberté de choix. La percée de l’individu trouve de nombreuses ramifications : libéralisation des mœurs, éclatement de la famille traditionnelle, des cadres de l'union (Pacte Civil de Solidarité, mariage pour tous) et de la filiation (adoption par les couples de même sexe, Procréation Médicalement Assistée pour toutes, pressions pour la Gestation Pour Autrui), revendications du « droit à mourir dans la dignité ».


Un autre pôle s'exprime autour de l'inclusion et de la diversité : antiracisme, accueil de l’étranger, respect des identités et droits des minorités, qu’elles soient ethniques, d'obédience, de genre.


Des valeurs au cœur de l'esprit républicain français : le patriotisme, l'autorité de l'Etat, le respect de la chose publique, l’ordre et la sécurité (notamment sanitaire), au bénéfice de l'intérêt général et appelant l’individu au sens de la responsabilité, au souci d'autrui et au refus des « égoïsmes ». Ou encore : la laïcité, l'universalisme et le refus des « extrêmes », voire le républicanisme comme matrice de l'intégration et de la citoyenneté.


Le progrès économique, technologique et matériel, le développement des biens et des services disponibles, au cœur des modèles traditionnels de la croissance.


La participation (citoyenne), la proximité et le localisme.


L’écologie, la lutte pour la préservation de la planète et la promotion de la sobriété (énergétique), au cœur de la transition énergétique.


Le féminisme et la lutte contre les violences sexistes, la promotion de la parité, l’égalité des genres.


Pour autant, à bien y regarder, les valeurs de l’hyper-centre le relient surtout à la gauche culturelle gagnante, qui a trouvé dans le néolibéralisme un vecteur puissant. Plusieurs points traduisent, pêle-mêle, son attachement à l’égalité des droits et à l’inclusion.

Lors du premier quinquennat d’E. Macron, la PMA pour toutes a été adoptée le 29/06/2021, loi par laquelle « nous reconnaissons toutes les familles françaises, nous embrassons la richesse des formes parentales, qu’elles soient hétérosexuelles, homosexuelles ou monoparentales, nous proclamons leur égalité et nous disons haut et fort que seul compte l’amour porté aux enfants » (G. Attal, alors porte-parole du gouvernement).

La Première Ministre, Élisabeth Borne, a annoncé le 04/08/22 qu'un « ambassadeur aux droits LGBT+ » serait nommé « avant la fin de l'année » ainsi que « la création d'un fonds de trois millions d'euros pour créer dix nouveaux centres LGBT+ », en plus des trente-cinq existants. Cet ambassadeur « coordonnera l'action du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour la protection contre les discriminations et la promotion des droits LGBT+ et portera la voix de la France », notamment pour défendre « la dépénalisation universelle de l'homosexualité et de la transidentité ».

La nomination de P. N’Diaye à la tête du Ministère de l’éducation est le choix d’un chercheur spécialiste de l'histoire sociale des Etats-Unis et des minorités, et connu pour son ouvrage La Condition noire, essai sur une minorité française (2008). Le 08/09/2022, ce dernier a fait part de sa volonté de lutter contre les stéréotypes et les inégalités filles-garçons à l'école, dès le plus jeune âge, travail qui renvoie aux « ABCD de l'égalité » qui firent l’objet d’une expérimentation dans les années 2013-2014. Lors d’une allocution le 20/09/2022 au sein de l’université Howard à Washington, il a indiqué « travailler activement pour développer une culture plus inclusive dans nos écoles, pour que personne ne s’y sente exclu à cause de son genre ou de sa couleur de peau ».


D’autres points peuvent être cités. A l’entame du second quinquennat d’E. Macron, on se rappelle que C. Vautrin, membre des LR, un temps pressentie pour le poste de Premier ministre, a été écartée pour une bonne part en raison de ses prises de position passées contre le mariage pour tous : « La nommer (…) revenait pour beaucoup à abandonner le progressisme constitutif de notre ADN, et dont on a toujours fait une marque de fabrique », a expliqué un conseiller élyséen.

De leur côté, plusieurs ministres ont explicité l’ADN progressiste de la majorité présidentielle. C. Beaune, Ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports, en a rappelé la « ligne politique » à l’occasion d’une polémique ayant trait à la nomination d’une ministre opposée en son temps au mariage pour tous : « Défendre, assumer, prolonger le mariage pour tous, la PMA, la lutte contre les thérapies de conversion ». Dans une tribune parue dans la presse, le ministre du travail O. Dussopt appelle à « se revendiquer pleinement du progressisme », qu’il définit comme l’aspiration au progrès « social, sociétal, scientifique, industriel et humain, éducatif et environnemental ». Et ce progressisme apparaît comme le vecteur du dépassement des clivages, constitutif de l’hyper-centre d’E. Macron : « Il faut dorénavant que les progressistes se retrouvent, inventent et proposent. Il faut qu’ils se parlent clairement, pour parler clairement aux Français ».

Au regard du progressisme qui irrigue l’hyper-centre macronien, les valeurs dites de « fermeté » sont endossées par le Ministre de l’Intérieur, originaire des LR. Fait inédit, celui-ci a annoncé que « 48 % des gens interpellés pour des actes de délinquance à Paris, 55 % à Marseille et 39 % à Lyon, [étaient] des étrangers » (Interview au Journal du Dimanche, le 20/08). Il évoque l’expulsion des étrangers délinquants après sanction. A Mayotte, il prône le durcissement du droit du sol, la lutte contre « l'attractivité sociale et administrative » de l'île pour freiner l’immigration clandestine, et l’ouverture de « lieux de rééducation et de redressement » pour les mineurs délinquants, encadrés par des militaires. Pour l’heure, on note que le Ministre de l’Intérieur est assez seul dans cet exercice. A la demande de la Première Ministre, il a annoncé le report d’une loi sur l’immigration, qui devait être présentée devant le Parlement à la rentrée. Un projet de loi sur l’asile et l’immigration est finalement annoncé début 2023. On voit que la position présidentielle se fait sur ces sujets tout en nuances, sur le ton comme sur le contenu : E. Macron plaide, par exemple, pour une meilleure répartition des étrangers sur le territoire français, notamment dans les « espaces ruraux, qui (…) sont en train de perdre de la population ». Il s’inscrit en cela dans les propos déjà tenus par J-P. Raffarin (ex-Premier ministre LR/UMP) en 2015, et renvoient aussi à la « politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation » évoquée la même année par M. Valls, alors Premier ministre (PS), après avoir dénoncé « un apartheid social, territorial et ethnique » qui se serait « imposé » à la France.


Une idéologie du milieu, très souple et plastique à partir de son socle néolibéral et européen


L’hyper-centre dénote par sa grande plasticité, résumée par le « En même temps » et le « Et de gauche et de droite ». On voit sa capacité à jouer d'avatars et de nuances (donnant le sentiment d'un renouvellement des offres politiques). On note aussi la diversité des registres sur lesquels il sait jouer (rudoiement des « Gaulois réfractaires » ET discours protecteur à l'égard de la population… Attraction / séduction des opposants ET grande fermeté vis-à-vis de la dissidence…).


Plasticité de cet hyper-centre aussi dans sa capacité à intégrer des problématiques portées par ses opposants et à emprunter même au populisme qu'il dénonce, comme l'a fait E. Macron lors de sa campagne de 2017 puis en plusieurs occasions durant son mandat, jusqu'à l’épisode d'un président disant vouloir « emmerder les non-vaccinés jusqu'au bout »[43].


Certains observateurs faisaient remarquer dès 2017 qu’il y avait du « populisme » chez E. Macron, à travers le thème du nouveau monde et de la mise au pilori de l'ancien, jugé suranné et défaillant. Une nouvelle époque devait s’incarner dans des pratiques politiques enfin vertueuses, et dans le dépassement des clivages traditionnels.

Lors de son premier quinquennat, on aura pu remarquer la distance qu’E. Macron aura prise avec les corps intermédiaires (collectivités territoriales, syndicats…). Même si la crise des gilets jaunes et le covid l’auront conduit à faire preuve de plus d’ouverture et à s’appuyer davantage sur ces acteurs, une telle posture aura laissé l’image d’un pouvoir défiant lorsqu’il n’est pas en prise directe, craignant d’être empêché, et ayant du mal à se frotter à la diversité des forces territoriales et sociales.

Dernièrement, une mesure aux forts accents historiques a appelé l’attention : annoncé durant la campagne pour les élections législatives, le Conseil National de la Refondation (CNR) a été mis en place le 08/09/22. Instance de dialogue associant les responsables des partis politiques, les responsables des groupes parlementaires, des représentants d'associations d'élus des territoires, des représentants des corps intermédiaires, les syndicats en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental, il doit permettre de « partager les diagnostics à l'échelle de la Nation sur les grands enjeux » (santé, éducation, services publics…), selon le porte-parole du gouvernement. Plusieurs lectures de cette initiative sont possibles. L’une d’elle voit dans le nouveau CNR la mise en place d’un outil concurrençant le parlement, et sur lequel il exercerait une certaine pression par les diagnostics qu’il ferait et les pistes qui s’en dégageraient. Le porte-parole du gouvernement n’en a d’ailleurs pas fait mystère, indiquant qu'il est « parfois difficile dans un hémicycle de sortir de certaines […] postures », et que l'idée est de « prendre de la hauteur ». « Quelles que soient nos idées politiques, nos origines, les combats que nous menons, nous devons être capables de mettre en partage des éléments de diagnostic ». On peut penser pourtant que l’Assemblée nationale et le Sénat disposaient de moyens et d’organes pour préparer les débats nécessaires sur l’état et les enjeux du pays (par l’exemple, par le biais de leurs commissions, qui ont tout le loisir d’auditionner des experts et des représentants de la société civile), avant de les porter au sein de leurs hémicycles, et de voter in fine les lois. S’il avait fallu un nouveau conseil, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) n’aurait-il pas pu jouer ce rôle précisément ? On peut donc se demander si l’instauration de ce nouvel outil, qui semble bien destiné à contrecarrer certains blocages au sein du parlement et qui veut toucher plus directement la société civile pour « refonder le pays », n’emprunte pas à une vision « populiste » du pouvoir, qui vante la relation en ligne droite avec le peuple et se méfie des intermédiaires.


Et à l’avenir ?

La dernière expérience de rupture date de 1981 avec F. Mitterrand, et n’aura guère duré que deux ans. Depuis 1983, toutes les majorités sont travaillées par l’inspiration néolibérale et européenne en regard de laquelle elles se sont toutes positionnées peu ou prou, tantôt un peu plus à droite, tantôt un peu plus à gauche.

E. Macron décrit aujourd’hui un hyper-centre paroxystique, dans un processus d’attraction des forces qui lui sont compatibles. Processus qui semble avoir atteint son apogée au lendemain des élections présidentielles de 2022.

Mais quelques semaines plus tard, les élections législatives[44] ont généré, comme par surprise, tout un ensemble d’interrogations sur le macronisme.

Quelle peut donc être la postérité d’un tel mouvement, à cette étape d’un processus, certes non linéaire, mais à l’œuvre depuis quarante ans ?

Il ne s'agit pas d'interroger le courant politique du macronisme en tant que tel, qui est une incarnation-aboutissement particulière de l’hyper-centre à un certain moment de l'histoire de ce pays. Il ne s’agit pas davantage d’interroger l'avenir d'E. Macron lui-même, dont le mandat qui commence devrait être le dernier selon les termes de la Constitution. D'autres acteurs viendront, susceptibles de s'inscrire dans la continuité de l'hyper-centre, tout en lui imprimant inévitablement leur marque et leur pratique du pouvoir.

Ce qui est interrogé ici, c'est la postérité d’un certain système de pouvoir et de valeurs, flexible et plastique dans sa dimension gestionnaire et manœuvrière, mais assis sur des fondamentaux politiques, économiques et sociaux stables (le choix européen, l'inspiration néo-libérale, les valeurs progressistes). Un système qui se renouvellerait sous la forme d’avatars pour mieux se perpétuer. Les successeurs d’E. Macron ne joueraient alors, au fond, que des « variations sur un même thème », comme si nous n’avions affaire qu’au changement dans la continuité[45].

On pourrait formuler trois hypothèses majeures.

Voir dans l’hyper-centre paroxystique le crépuscule du paradigme européen et néolibéral, désormais menacé par l’accumulation des crises, et la dilution interne : trop d’alliances d’opportunité, laissant apparaître un manque de cohérence entre les forces qui le composent faute d’une vision et d’un programme suffisamment partagés. Comme le revers de la médaille du « en même temps », où la grande plasticité de l’hyper-centre, utile pour développer son attractivité, finit par devenir sa faiblesse une fois qu’il est allé au bout de lui-même, et qu’il a repoussé ses frontières jusqu’à leurs extrêmes limites.

Voir en l’hyper-centre un point d’équilibre durable du pouvoir, politique, économique et au plan des valeurs, et ce même si ce point d’équilibre se fait dans une forte tension avec les blocs d’opposition mais aussi avec toute une partie de la société[46]. L’hyper-centre accepte une certaine influence de la part des blocs qui lui font face et le menacent. Il sait leur emprunter, leur donne des gages, mais toujours dans l’idée de contenir leur poussée et de préserver son pouvoir. Préservant ses propres fondamentaux, il se situe principalement dans une logique de concessions tactiques et « d’accusés réception verbaux » sur le diagnostic et les mesures à prendre, sans pour autant infléchir fondamentalement ses positions. Un hyper-centre qui joue donc au maximum de sa plasticité et de son intelligence pour se maintenir et contenir les assauts des blocs « radicaux », non sans se montrer lui-même plus autoritaire en fonction des menaces auxquelles il est confronté et des marges de manœuvre dont il dispose pour les circonscrire.

Question de degré ou question de nature ? On peut se demander si une troisième hypothèse ne serait pas l’hybridation. Les fondamentaux libéraux perdurent mais l’adoption de mesures autoritaires s’accroît et s’installe. Elles ne sont pas alors simplement l’expression de la plasticité de l’hyper-centre, qui verrait en elles une panoplie de mesures comme une autre. Au contraire, l’hyper-centre « structurellement » sous tension, contesté et mis à mal par des oppositions rudes et en progression constante, face à une société fragmentée et défiante, et dans un monde où se cumulent les déséquilibres et les crises, recourt à des mesures plus dures, voire illibérales[47], pour se maintenir. Adoptant un raisonnement selon lequel la fin (son maintien au pouvoir et la préservation de ses fondamentaux) justifie certains moyens (par exemple, des mesures de contrôle), l’hyper-centre quitte davantage sa rive libérale et empruntent à des régimes qui lui sont théoriquement étrangers et qu’il dénonce[48].

Secoué et contesté, l’hyper-centre va voir sa résilience testée, entre souplesse consentie et raidissement assumée. Mais il devrait conserver, à court et moyen termes en tout cas, plusieurs leviers pour poursuivre l’aventure du pouvoir…

Il est bien sûr délicat de faire de la prospective et il y a un certain pari à se prononcer.

A ce stade, on peut opter pour l’hypothèse d’un hyper-centre, si ce n’est durable, tout du moins résilient à court et moyen termes. Un hyper-centre en tension constante entre ses fondamentaux néolibéraux et la tentation du raidissement, face à la conjugaison et à la complexité des crises.

Les multiples crises, climatiques, sanitaires, géopolitiques, militaires, énergétiques ou encore alimentaires, vont provoquer des soubresauts croissants et rendre la société très abrasive mais on se risque à dire qu’elles devraient, in fine, développer le consentement aux restrictions, au nom de l'intérêt général, devant l’intensité des menaces et des enjeux de survie. Ce faisant, on peut penser que le cumul des crises devrait « jouer » pour un certain statu quo politique, où l'hyper-centre tire bon an mal son épingle du jeu en incarnant, telle une valeur refuge, le « cercle de la raison ».

On constate que l’hyper-centre au pouvoir a très vite alerté sur la gravité de la situation. C’est le temps de la sobriété. E. Macron prévient que l’abondance est finie et qu’il va falloir faire de nombreux efforts. F. Bayrou, Haut-commissaire au plan, indique que se prépare la crise la plus grave que la France ait connu depuis la guerre. Après la crise du covid, le Conseil de Défense fait son retour sur la crise énergétique dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le 07/10/22, la première ministre a annoncé que les chiffres de la consommation énergétique seraient publiés chaque semaine, pour vérifier que les objectifs soient atteints. Certains, au sein de la société civile, lui emboîtent le pas : G. Rozier, le créateur des sites CovidTracker et Vitemadose, vient de lancer TrackMyWatt, dont l’objet est de suivre la consommation et la production d'électricité en France. S’il ne s’agit pas de contester la réalité des difficultés, il reste que ce discours anxiogène peut servir de « stabilisateur social » à destination de la population qui est ainsi incitée à modérer sa protestation. On peut également penser que ce discours veut atténuer la responsabilité devant des crises qui seraient le « prix à payer pour nos valeurs » (E. Macron) et qui nécessiteraient des mesures impératives peu sujettes à discussion.

On peut regarder plus en détail les facteurs qui devraient influer en faveur de l’hyper-centre.

Un contexte géopolitique incertain et menaçant, encourageant les alliances historiques et incitant à la prudence et au statu quo

On connaît le contexte géopolitique. La « toile de fond » est celle de l’accumulation des crises, des défis et des menaces. C’est bien sûr la guerre sur le territoire même de l’Europe géographique. C’est le conflit taïwanais, qui cristallise l’opposition entre la puissance chinoise montante et les Etats-Unis menacés dans leur hégémonie. C’est la situation chroniquement inflammable au Proche-Orient, autour d’Israël, mais aussi avec la nucléarisation de l’Iran, le morcellement syrien, la guerre au Yémen… Ce sont les déstabilisations, les luttes armées et le terrorisme islamistes en Afrique. Ce sont encore les « démonstrations » nord-coréennes.

En occident, un tel contexte favorise le retour aux alliances historiques et réactive la logique de blocs, face à la Russie, qui en accepte l’augure, et face à la Chine, dans une logique plus subtile. Les positions occidentales se resserrent et se figent autour du « prisme » atlantiste. Si l’on voit que l’UE veut davantage s’affirmer en puissance[49], il reste que le leadership américain ne s’est jamais fait aussi flagrant[50].

Aux yeux de l’opinion publique, une OTAN à la manœuvre pour la défense des valeurs occidentales redonne corps au bouclier protecteur américain, qui a tant marqué la guerre froide. On constate que tout discours un tant soit peu discordant sur la question russo-ukrainienne est inaudible[51], et interdit toute relativisation de l’alliance atlantiste, thèse soutenue à des degrés divers par le RN et LFI, sur laquelle ces derniers se font discrets.

Le climat anxiogène que provoque le contexte géopolitique et le retour de la « grammaire » atlantiste favorisent un réflexe légitimiste, renvoyant l'opposition « radicale » à son caractère « aventureux », face auquel l'hyper-centre incarnerait une stabilité rassurante.

Une telle dynamique génère à notre avis une baisse des attentes de changement de la part du corps social.

La mondialisation et l’Union européenne (UE) : dynamique et inertie au profit de l’hyper-centre

L’hyper-centre nous semble être la traduction d’un phénomène qui dépasse le seul cadre de la France. Il traduit pour nous une tendance de fond des pouvoirs et des élites occidentaux (Europe de l'ouest, Amérique du Nord...) ou en voie d’occidentalisation (comme l’Ukraine...)[52], le constat étant plus difficile à établir lorsqu’on considère les sociétés elles-mêmes, autrement plus diverses.

En France, l’hyper-centre est l’expression d’orientations politiques, économiques, sociétales qui s’inscrivent dans un ensemble plus vaste, l’UE, que l’on peut voir elle-même comme une traduction régionale spécifique, à échelle de la construction européenne, de la mondialisation d’inspiration néolibérale.

Même si elle est critiquée et en proie à des tensions internes qui sont le reflet de la diversité de ses pays membres, l’UE n’en demeure pas moins une puissance fortement intégrative, qui s’appuie sur une histoire et des réalisations de soixante-dix ans. On peut rappeler que, chaque année, tous les pays membres de l’UE se voient adressés leurs Grandes Orientations des Politiques Economiques (GOPE) par la Commission[53].

L’hyper-centre peut compter sur le regain de l’UE, qui a accru ses leviers d’affirmation. Les programmes de mutualisation et d’entraide décidés dans le cadre de la crise financière de 2008, puis de la crise du covid à partir de 2020[54], consolident de fait les liens d’intérêt entre les pays et les rend solidaires de décisions où chacun contribue et reçoit.

L’hyper-centre trouve donc en l’UE une « superstructure » agissant comme une puissance de conservation de ses fondamentaux et de maintien de son pouvoir, puisqu’il en épouse largement les paradigmes et en suit les règles du jeu. En son sein, il peut compter sur un nombre significatif d’alliés : on aura entendu, par exemple, les déclarations de chefs d’Etat ou de gouvernement européens, voire de commissaires, exprimant leurs inquiétudes quant à l’arrivée au pouvoir d’une candidate « populiste », et appelant ainsi à la reconduction d’E. Macron[55].

Le poids du paradigme européen et néolibéral s’est vu hors de nos frontières, avec les exemples italien et grec.

En Italie, deux formations différentes mais perçues volontiers comme « populistes » et en rupture avec le « système », la Ligue (de M. Salvini) et le Mouvement 5 Etoiles (de B. Grillo), accèdent au pouvoir entre 2018 et 2019 (premier gouvernement Conte). Le Mouvement 5 étoiles poursuit avec le deuxième gouvernement Conte (entre septembre 2019 et janvier 2021) puis intègre la coalition au pouvoir avec M. Draghi. Sa participation à l’exécutif coïncide avec son reflux électoral, matérialisé par plusieurs échecs successifs. Ou quand la normalisation et l’assimilation au « système » d’un parti sapent à grande vitesse son crédit, comme s’il n’était plus guère perçu comme « disruptif » et capable de porter une politique radicalement différente. De son côté, la trajectoire de la Ligue a été différente entre sa participation au premier gouvernement Conte et l’arrivée au pouvoir de M. Draghi : elle a su conserver une grande force électorale mais elle a rejoint M. Draghi au gouvernement, non sans avoir fortement atténué son scepticisme européen et ses prétentions souverainistes…

En Grèce, A. Tsipas, candidat de la gauche radicale Syriza porté au pouvoir début 2015, avait exhorté le peuple à rejeter par le référendum du 05/07/2015 la dernière offre d’accord faite alors à la Grèce par ses créanciers (UE et FMI). Appel entendu par le peuple à 60%. Pour autant, huit jours plus tard, conséquence d’un rapport de force qui lui était totalement défavorable, A. Tsipas signait avec ses créanciers un accord comprenant de nombreuses mesures d'austérité et de privatisation, en échange de nouveaux crédits accordés au pays.

Jusqu’à présent, force est de constater que les gouvernements récalcitrants envers l’UE n’ont pas changé la donne après leur passage au pouvoir.

L’état dégradé des finances publiques, risque majeur pour la souveraineté du pays

On sait la rupture qu'a constituée, dans l'ensemble de la zone euro, la crise financière de 2008 : pour permettre le financement des États membres, la Banque Centrale Européenne (BCE) est intervenue massivement dans le rachat de leurs dettes publiques, évitant ni plus ni moins que l'effondrement de la zone euro. On sait aussi la dégradation spectaculaire des finances publiques des États membres avec la crise du covid : pour la France, la dette publique a atteint, fin mars 2022, 2 901,8 milliards d'euros, soit 114,5 % du PIB. Au total, depuis 2008, plus de 6500 milliards d’euros de dettes publiques (tous pays confondus) ont été rachetés par la BCE.

Dans un contexte si dégradé, le rachat massif des dettes publiques des États membres par la BCE crée de fait toutes les conditions d'une dépendance structurelle des pays bénéficiaires de cette politique à une certaine orthodoxie économique et financière de la zone euro, aux mains de la BCE et de la Commission européenne. Ou, pour le dire autrement, on voit s'accentuer davantage encore l'intégration financière de la zone euro, réduisant les marges de manœuvre et l'autonomie des différents pays pour lesquels la BCE joue le rôle de bouclier.

Le dernier mécanisme prévu par la BCE, le TPI (Transmission Protection Instrument)[56], s'il était activé, ne ferait que renforcer cette intégration et cette dépendance car les pays soutenus devraient alors respecter plusieurs critères : ne pas faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif (PDE) ou pour déséquilibre excessif (PDM : procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques), mener des politiques macroéconomiques saines (ne pas montrer de déséquilibres macroéconomiques majeurs), et disposer d’une trajectoire des finances publiques soutenable.

La complexité de nos sociétés d’interdépendances, poussant à des positions d'équilibre ou à des corrections permanentes

Au sein d’un pays comme la France, marqué par le poids de la puissance publique, en proie à des divisions fortes, et dans un monde d'échanges et d'interdépendances multiples, où se conjuguent les crises, le pouvoir et les corps intermédiaires sont en quelque sorte contraints de rechercher des positions d'équilibre, et usent de nombreux mécanismes de régulation et de correction, bon an mal an.

Ceci ne se fait pas sans difficultés mais, passé les exaspérations et les rêves de grand soir, les acteurs sont confrontés à l’inertie du « système » dont ils héritent. Au pied du mur, les solutions « extrêmes » se heurtent à des rapports de force qui leur sont défavorables et qui traduisent la puissance des conservatismes au pouvoir. On l'a vu par exemple à propos des nombreuses propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, voulue par le président à partir d’octobre 2019, qui ont été largement vidées de leur substance après coup. Dans un débat qui demeure encore polarisé[57], la conciliation d'aspirations citoyennes et d’intérêts économiques bien établis a abouti à des positions moins-disantes.

Pour s’imposer effectivement, il est probable que les tenants de politiques de rupture doivent assumer le conflit avec une certaine intensité, stratégie couteuse et aléatoire dans un système mature et complexe, et qui n'aurait de chance d'aboutir que si elle était soutenue puissamment et durablement par la population, par-delà ses conséquences.

Enfin, dans un système qui leur est largement opposé, les mesures « extrêmes » finissent par faire face à un risque plus pernicieux aux yeux de l’opinion publique : passer pour friables, c’est-à-dire suspectes de concessions qu’elles seraient incapables d’éviter au contact de la réalité, et ce avant même qu’elles ne soient mises en œuvre. Elles apparaissent alors comme « entachées » ou « dénaturées » dans leur esprit même, et s’exposent ainsi à une perte de crédibilité.

Le changement climatique, nouvel horizon de nécessités et de contraintes

En Europe, le changement climatique s’est particulièrement fait sentir cet été 2022. On ne découvre pas le phénomène et ses causes anthropiques, documentés depuis de nombreuses années par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et qui fait l'objet de modèles de projection plus ou moins inquiétants. Ceci étant, l’intensité, la durée et la fréquence d’épisodes extrêmes devraient accentuer la prise de conscience des effets du réchauffement climatique aux yeux des opinions publiques. En France, on assiste ainsi à des appels – relayés par les élites – à engager le tournant vers la sobriété[58].

La planification écologique, dont la majorité présidentielle veut faire une priorité[59], devrait constituer un nouvel horizon en France comme dans de nombreux pays occidentaux, s’il ne faut parler que d’eux. Face à cette urgence impossible à différer davantage, on peut penser, au premier abord, que des changements radicaux devraient être de plus en plus audibles aux yeux du corps social… Pour autant, on peut penser que la crise climatique devrait favoriser un certain statu quo politique, dû à une position paradoxale du corps social : d’un côté, la prise de conscience de la nécessité de changer, de l’autre, la difficulté à accepter des remises en cause fortes et à « imaginer » concrètement ce que pourraient bien être « d’autres solutions », venant « d’autres forces politiques », devant une crise systémique. Une crise qui résiste aux seules intentions électorales, et qui nécessite l’engagement simultané de nombreux acteurs autour d’actions locales très concrètes et de mesures globales très fortes. S'imposant aux gouvernants comme aux sociétés, la planification écologique réduirait la crédibilité de politiques qui voudraient s’en affranchir.

L’enjeu sanitaire, épée de Damoclès

La crise du covid a fait resurgir dans la psychè occidentale des spectres que l’on croyait reclus dans le passé, grâce aux constants progrès de la médecine (on pense à la peste…). Avec l’irruption de ce virus, c’est un peu comme si nos sociétés (re)découvraient subitement qu’elles étaient vulnérables et mortelles.

Fait sans précédent, pas même en période de guerre, l’économie et la vie sociale auront fait l’objet d’un arrêt brutal, pétrifiant la population. L’expansion du virus aura soumis nos sociétés à des mesures d’exception, restrictives des libertés.

Devenus pandémiques, le covid et ses variants devraient faire peser sur les populations, pour un certain temps encore, une « atmosphère de récidive », laissant rôder le trauma d’origine si une nouvelle « catastrophe sanitaire » survenait, ce qu’on nous promet d’ailleurs[60]

Même si la crise sanitaire provoque des sentiments contrastés, entre consentement et exaspération face aux mesures prises pour l’endiguer, cette « atmosphère de récidive » engendre, parmi les populations, état de vigilance et perméabilité au stress. Sous l’effet d’un danger sanitaire qui serait réactivé périodiquement, les populations peuvent être tentées de limiter leurs aspirations[61].

La fragmentation territoriale et sociale du pays

Les fragmentations territoriales et sociales du pays, clairement diagnostiquées[62], sur fond de recul de l’opposition structurante entre la droite et la gauche, sont de nature à freiner les coagulations nécessaires pour faire éclore de nouvelles majorités en rupture. Dans un pays divisé, la jonction d’intérêts communs, qui plus est capable de générer une mobilisation d’ampleur, est indubitablement plus complexe à obtenir. En France, postérieurement à la seconde guerre mondiale, la dernière « convergence des luttes », frayeur des pouvoirs en place, remonte à Mai 68 pour son expression la plus radicale et efficace[63].

L’essor du virtuel et du « distanciel », ou la virtualisation de la protestation

Non sans liens avec la fragmentation territoriale et sociale du pays, on peut aussi s’interroger sur les effets à long terme des outils numériques et digitaux qui vont poursuivre leurs mutations et continuer de pénétrer nos existences. Nous ne sommes qu’au début du Métavers…

Tant qu’une société démocratique un tant soit peu résiliente ne se sent pas viscéralement menacée (pour son bien-être, pour ses libertés fondamentales…), tandis qu’elle bénéficie d’un Etat protecteur dans un monde conflictuel et incertain, il est assez probable que les capacités collectives de mobilisation ne trouvent pas un allié dans un monde numérique et digital qui s’accroît, mute, et offre toujours plus aux citoyens-consommateurs.

Avec l’expansion de ces outils, nous avons l’essor phénoménal du virtuel et du « distanciel », c’est-à-dire l’instauration de multiples médiations (l’écran – qui porte bien son nom –, mais aussi le casque, le joystick…). Ces dernières modifient nécessairement notre appréhension des phénomènes et notre expérience sensible du monde extérieur. Habitués à la distance physique, nous utilisons l’écran telle une fenêtre sur l’extérieur qui nous permet d’avoir accès à tout sans nous déplacer, de nous exprimer de notre bureau, de protester de notre chambre (comme en témoigne le développement du slacktivisme[64]). Dans l’espace protecteur de son chez soi, l’écran constitue une domestication du monde, dans une relation paradoxale : le monde entier peut s’inviter chez nous et nous chez lui, mais il le fait toujours dans un rapport distancié et il ne s’invite jamais que dans ce que nous choisissons de regarder selon nos motivations et nos filtres (les onglets que nous ouvrons dans nos navigateurs, les réseaux que nous fréquentons, les « appli » que nous utilisons…).

On peut bien sûr objecter que des mobilisations importantes naissent ou se cristallisent par les outils numériques et digitaux[65] mais changent-elles fondamentalement la donne si l’on considère les ruptures, au-delà des événements ?

Le repli protecteur, ou le syndrome du nid

Trouvant dans le distanciel un vecteur, un repli protecteur s’est fait jour avec la crise du covid, et à l’échelle de sociétés entières, qui plus est. Face à une menace subite, au caractère imprévisible, relayée par un discours en flux continu qui a saturé les ondes, le chez soi est devenu l’abri.

Certes, l’espace clos du logement a été synonyme de restrictions (de liberté) et le confinement a été vécu très différemment selon ses moyens, ses contraintes, son environnement. Tout aussi pénible qu’ait été le confinement, le foyer est devenu l’espace sûr et contrôlable, sécurisé par les frontières domestiques, face à « l’agora » où circulait le virus.

Le repli sur ses mètres carrés n’a pas été qu’un épisode circonstanciel, le temps de contraintes sans lendemains. A l’échelle d’une société entière, la valeur travail, déjà bousculée avec l’adoption de la réduction du temps de travail[66], est passée brutalement de ce qui permet de gagner sa vie à ce qui risque de nous la faire perdre (comme toute autre activité sociale, d’ailleurs). Pour les salariés des activités à l’arrêt, et dans une moindre mesure pour ceux qui ont connu le chômage partiel, le salaire n’a plus été la contrepartie du travail mais la contrepartie de l’inactivité, légitimée par l’Etat, et financée sur les deniers publics.

Les populations éligibles au télétravail, ainsi que leurs entreprises ou leurs administrations, se sont aperçues rapidement qu’il était possible de travailler à distance dans des proportions importantes, et que leur travail était bien plus « dématérialisable » qu’il n’y paraissait. Pour les autres, la poursuite du travail s’est accompagnée de nombreuses contraintes et mesures de précaution ; le travail est ainsi resté le même sans le rester vraiment… Il a même revêtu, pour les « activités essentielles », une dimension quasi-sacrificielle : « en guerre », les « héros du quotidien » ont été engagés sur une « ligne de front », mais toute ligne de front ne peut durer qu’un temps.

De la sphère sociale à la sphère domestique, voire à une certaine solitude, il a été vital de limiter les interactions, et d’en accepter le « mode dégradé » : du visage découvert au visage masqué, de la fréquence à la rareté, du face à face (ou du côte à côte) à l’écran, du spontané au préparé, de quatre sens à deux sens (l’ouïe et la vue).

La frontière aura régné : à la réduction drastique des activités sociales, aux frontières domestiques, se sont ajoutés les « gestes barrière », qui ne sont ni plus ni moins que des frontières personnelles. Gestes barrière qui, contrairement aux frontières du foyer (il était possible de sortir de chez soi…), ne devaient pas connaître de pause pour rester efficaces.

Pour certaines catégories de la population éligibles au télétravail, le confinement a été aussi un temps de respiration, de mise en suspens du cours habituel des choses et des routines. C’est comme si, malgré tout, la pause et la distance vécues malgré soi avaient quelque chose d’un havre de paix devant une vie moderne prenante et tendue. Comme s’il n’était jamais aussi agréable de travailler que lorsqu’on n’est pas au travail et que l’on peut reprendre la main sur ses contraintes et son rythme de vie.

Le repli a heureusement reflué mais il y a du ressac : il se poursuit dans une certaine mesure avec la vague des démissions et une certaine tendance à limiter et à conditionner son engagement professionnel (quiet quitting).

Parmi les facteurs qui font évoluer une société en profondeur, les impacts de traumatismes majeurs (dont les épidémies et les guerres ont toujours été) jouent un rôle clé, a fortiori lorsqu’il y a conjugaison des crises, ce qui caractérise notre époque. En l’occurrence, la crise du covid nous semble plutôt renforcer l’individualisme et la fragmentation, rendant plus difficile la constitution de mouvements de masse sans lesquels il n’est pas possible de contester structurellement les fondamentaux établis.

L’infobésité, ou le risque de l’obstruction cognitive

Il n’est plus nécessaire de rappeler combien nos sociétés de l’hyper-connexion génèrent, partagent, stockent, détruisent et recréent de l’information en flux continus. Le monde est devenu notre jardin. Nos fenêtres peuvent ne jamais se refermer sur cet échange exponentiel de données et d’informations dont nous participons et qui nous traversent.

L’ObSoCo, Arte et la Fondation Jean-Jaurès ont publié le 01/09/2022 une étude très intéressante sur les Français et la fatigue informationnelle[67].

En 2005, un Français sur deux (52%) était connecté ; ils sont désormais plus de neuf sur dix (92%). Il y a dix ans, 17% possédaient un smartphone, ils sont aujourd’hui 84% ; 4% avaient une tablette, ils sont 56% aujourd’hui ; 23% étaient sur les réseaux sociaux, ils sont aujourd’hui plus des deux tiers (67%). Le Français utilise en moyenne 8,3 canaux différents et 3,2 quotidiennement. Un Français sur deux dit souffrir de fatigue informationnelle.

Plusieurs profils d’individus se dégagent dans le rapport à l’information : les « hyperconnectés épuisés » (17% de la population), les « défiants oppressés » (35%), les « hyperinformés en contrôle » (11%), les « défiants distants » (18%), les « NSP-NC » (ne sait pas/non concernés ; 20% de la population).

La surcharge informationnelle met au défi nos capacités et nos processus cognitifs. Elle nécessite un effort important, qu’il est impossible de maintenir dans la durée. Elle génère un certain nombre de risques selon les profils : la course en avant, dans une logique addictive, le découragement et le retrait devant des flux d’informations immaîtrisables, l’incertitude et la difficulté à fonder des opinions à partir de flux d’informations permanents, extrêmement divers quant à leurs canaux, à leur nature, à leur durabilité et à leur portée, difficiles à analyser et à hiérarchiser en conséquence.

L’infobésité nous semble représenter un défi supplémentaire pour la mobilisation collective, et peut devenir un puissant facteur d’anesthésie de masse.

Le vieillissement de la population

Toutes les enquêtes d’opinion démontrent que l'électorat âgé est celui qui vote le plus, et que, parmi cet électorat, les retraités sont l’un des segments forts de la majorité présidentielle (avec les 18-25 ans et les catégories diplômées disposant d’un certain niveau de revenu). Sensibles à la stabilité, attentifs aux bouleversements, ils se méfient plutôt des « extrêmes » et récusent leur caractère aventureux.

Le déclin des partis traditionnels de gouvernement, incapables de se différencier de l’hyper-centre


Lors de la campagne pour les élections présidentielles, il n’a pas paru très simple de distinguer fondamentalement les valeurs et les mesures proposées par une V. Pécresse (pour les LR) ou par un E. Macron (pour LREM/Renaissance)[68]. Elles ne semblent pas avoir relevé d’une différence de nature. Les écarts programmatiques n’ont d’ailleurs pas convaincu l’électorat, au vu de l’effondrement de la candidate LR, tandis que E. Macron confirmait sa captation des électorats de la droite néolibérale et du PS « social-démocrate ».


De cela, le sentiment d’un jeu d’étiquettes entre les partis de gouvernement, comme si l’électeur avait affaire à des oppositions surjouées, sans remise en cause fondamentale du corpus centriste, néolibéral et européen.


La droite « nationale », en quête de crédibilité et de respectabilité


L’hyper-centre pousse les oppositions « radicales » à revoir leurs fondamentaux et à jouer en partie sur son terrain.


Il y a cinq ans, tant LFI que le RN dénonçaient l’euro, responsable selon eux de la désindustrialisation du pays.


Le RN a évolué dès l’entre-deux tours de la présidentielle 2017. Après avoir milité pour la sortie de la France de l’UE, de façon à lui redonner sa souveraineté (notamment monétaire), le RN a fait machine arrière, pour proposer de faire de l’euro une monnaie commune, à ses yeux pertinente pour les échanges internationaux. A l’occasion des élections européennes de 2019, le RN, qui a pris entre-temps la suite du FN, a officiellement abandonné l'idée de Frexit et de sortie de la zone euro. Ce faisant, M. Le Pen s’alignait sur l'opinion des Français, plébiscitant l’euro pour 66% d'entre eux[69].


Depuis, le RN n’a eu de cesse de « se recentrer » et d’atténuer sa dimension clivante, invoquant le sérieux et la faisabilité des réformes qu’il propose, plutôt que la promesse d’un « grand soir » qui inquièterait l’électeur et risquerait d’être déçue.


Dans la campagne pour les élections présidentielles, il a fallu l’irruption d’E. Zemmour et de l’enjeu civilisationnel (la survie de la France, qui impose selon lui l’arrêt de l’immigration et une reconquête identitaire et culturelle) pour obliger le RN à modifier son discours, qui s’était tourné vers les thèmes économiques et sociaux. Le RN se voyait contraint de redonner une place de premier plan à ses thèmes historiques, l’identité et l’immigration.


Avec les élections législatives, il y a fort à parier que, du côté du RN, la « normalisation » largement entamée ne s'accentue par le biais de la pratique parlementaire. Les 89 députés de ce parti intègrent le cœur même des institutions républicaines et vont donc participer du jeu démocratique avec un fort niveau d’exposition, ce qu'il n'avait jamais réussi à faire au cours de son histoire. Parti-prenante du « système », il va avoir l'occasion de montrer son « sens des responsabilités » en votant les lois au nom du peuple français. De fait, suivant les intentions exprimées par ses responsables dès les premiers jours de la législature[70], ce parti a adopté une position équilibrée quant au vote des textes à l'Assemblée[71].


Du côté de Reconquête!, E. Zemmour a pris acte de l’état de l'opinion quant au Frexit et à la sortie de l’euro. Il n’a aucunement proposé de sortir de l’UE, prenant acte que les Français ne s’imaginaient pas sans alliances. Il a dit préférer instaurer un rapport de force avec les pouvoirs européens pour faire prévaloir un certain nombre d’enjeux de souveraineté pour la France. Il a indiqué que l'entrée dans l'euro était une mauvaise idée, mais qu’en sortir serait pire.


Sur le plan des valeurs, il a précisé son attachement à l’égalité homme – femme, répondant à des reproches qui lui ont été faits dans tel ou tel de ses écrits. « Philosophiquement » en faveur de la peine de mort, il ne compte pas pour autant la rétablir. Il a cru aussi nécessaire de préciser qu’il ne reviendrait pas sur le droit à l’avortement, pas plus que sur le mariage pour tous, indiquant toutefois qu’il abolirait la PMA pour toutes.


En dehors de nos frontières, on peut faire à nouveau une incursion dans la situation politique de l’Italie : une coalition de droite, menée par Fratelli d’Italia, avec pour alliés la Lega de M. Salvini et Forza Italia de S. Berlusconi), vient de remporter les élections législatives.


Fratelli d’Italia, dirigé par G. Meloni, puise ses racines dans l’extrême-droite italienne : il est un avatar de l’ancien Alleanza nazionale de G-F. Fini, qui était lui-même la transformation du MSI, Mouvement Social Italien. Ceci n’a pas manqué d’être dénoncé, notamment par la gauche.


G. Meloni a mené une campagne assez offensive face à l’UE, expliquant qu’avec elle, « la fête [serait] finie » : « l'Italie va commencer à défendre ses intérêts nationaux comme le font les autres, et après on cherche des solutions communes »[72].


Au-delà de la campagne électorale et de ses effets oratoires, il faut regarder le contenu de l’accord signé entre les trois partis de la coalition[73]. A l’aune des fondamentaux de l’UE, on n’y voit pas de points qui puissent constituer des motifs de rupture. Un certain nombre de mesures d’inspiration néolibérale y figurent (réduction de la pression fiscale, suppression du revenu universel minimum…). L’accord affirme son attachement à l'OTAN, soutient l'Ukraine et défend les sanctions contre la Russie. Il ne prévoit pas l’abandon de l’euro et, même s’il prône une révision des traités pour plus de souveraineté économique, il n’a pas l’intention de quitter l’UE et adhère à son processus d’intégration. « Nous ne voulons pas détruire l'UE et nous ne ferons pas de folies » a déclaré cet été la chef de file de la coalition.


De fait, l'Italie et ses 2600 milliards de dollars de dettes (152 % de son PIB) ont besoin du soutien de la BCE et des 140 milliards d’euros qui doivent encore lui être versés au titre de son plan de relance post-Covid. La Commission européenne rappelle d’ailleurs que les recommandations adressées à l’Italie par le Conseil dans le cadre du semestre européen en 2019 et en 2020 restent « valables », tout comme les réformes et les investissements compris dans le plan de relance et de résilience italien. G. Crosetto, bras droit de G. Meloni, a proposé que le prochain budget, qui doit être présenté le 16/10/22 à la Commission européenne, soit le fruit d’une collaboration entre le gouvernement sortant de M. Draghi, très en accord avec le double paradigme néolibéral et européen, et la coalition élue. M. Draghi lui-même a suggéré à G. Meloni de nommer un membre du directoire de la BCE, qu’il connaît étroitement, comme futur ministre de l’Economie.


Au plan institutionnel, d’aucuns disent que le ministère de l'Economie, mais aussi l'Intérieur, les Affaires étrangères et la Défense devraient faire l'objet d’une grande vigilance de la part du président de la République, S. Mattarella, auquel la Constitution octroie le pouvoir de nommer le Premier ministre, de dissoudre le Parlement, et qui peut refuser de mandater une coalition s’il l’estimait trop instable.


Il faudra voir à l’épreuve ce que la coalition appliquera de son programme. Avant même les élections italiennes, la présidente de la Commission européenne, U. von der Leyen, avait indiqué, à l’occasion de son intervention devant les étudiants de Princeton aux Etats-Unis : « Si l'Italie prend une direction difficile, nous avons des instruments comme pour la Pologne et la Hongrie… ».


« L’aventure aventureuse » avec les blocs « radicaux »

On a un effet d'optique sur la progression des blocs « radicaux » d'opposition. Elle est réelle et forte, et donne à penser que le basculement n'est plus loin. Or, pour ces blocs, le « reste à conquérir » est plus important à accomplir qu’il n’y paraît.

Un certain nombre de leurs positions sont encore jugées aventureuses par une majorité de l’électorat. La « radicalité » nécessite un plus grand effort pour rassembler et convaincre une majorité, en tout cas tant que le « cercle de la raison », qui jusqu’à présent a déjoué le vote « extrême », conserve une certaine efficacité économique et sociale, et met en place les amortisseurs capables de contenir la contestation.

Tant qu'il n'y a pas effondrement économique et crises sociales en spirale sous les effets du triptyque dette-inflation-chômage – ce que nul ne peut souhaiter – on peut penser que le système est capable de résilience. Certes, avec de fortes tensions, nécessitant un interventionnisme public durable et la poursuite des programmes européens de mutualisation et d’entraide, mais avec le probable soutien des institutions et des marchés financiers devant le risque majeur que constituerait la faillite d’une économie comme celle de la France.

L’alliance improbable des blocs d’opposition

A droite, entre le RN, LR et Reconquête!, on note l’insuccès de l’union. Après une campagne fratricide, le Rassemblement National (RN) n’a pas souhaité s’allier à Reconquête! lors des élections législatives. Il a critiqué ses postures agressives pendant la campagne présidentielle et son appel tardif à l’union après avoir, selon lui, fracturé le camp national. De leur côté, Les Républicains (LR) ont affiché les divisions qui les minent depuis les élections présidentielles de 2017 déjà, entre ceux qui ont fait savoir leur soutien à E. Macron lors du second tour des présidentielles (V. Pécresse, candidate des LR), ceux ayant appelé à l’abstention (qui ont été majoritaires), et ceux ayant exprimé leur préférence de principe pour E. Zemmour s’il était finaliste face à E. Macron (E. Ciotti, finaliste de la primaire des LR, mais minoritaire parmi les siens).

Au cœur de cette union impossible pour l’heure, des écarts programmatiques et de culture politique, bien sûr, qui témoignent des traditions très différentes de ces partis, mais aussi des rivalités de pouvoir pour exister au mieux et s’assurer le leadership de l’opposition face à l’hyper-centre en vue de futures échéances électorales.

Enfin, si l’on cherche une alliance entre le RN et la Nupes, après leur entrée en nombre à l’Assemblée nationale, l’histoire, les valeurs, une bonne part des idées mais aussi les stratégies de ces deux blocs d’opposition la rendent improbable, faisant le jeu de l’hyper-centre, même dépourvu de majorité absolue[74].

Des « verrous » institutionnels favorables à la logique hégémonique et aux partis de gouvernement

Des « verrous » institutionnels, ou opérant comme tels, majorent le poids du vainqueur et lui assurent une prime électorale. On veut parler ici du scrutin majoritaire, que les gouvernements successifs de la Vème République, à part une exception notable mais limitée entre 1986 et 1988, ont soigneusement évité de réformer.

Certes, on a vu que ce verrou s’était récemment desserré…, ce qui met d’autant plus en exergue la poussée du RN et de la Nupes[75], puisqu’un tel mode de scrutin leur est traditionnellement défavorable.

Pour autant, il n’est pas dit que les résultats des élections législatives nous fassent entrer dans l’ère du parlementarisme. En effet, dans un régime parlementaire, les forces en présence peuvent faire l’anticipation raisonnable que les prochaines élections donneront lieu à nouveau à un régime parlementaire. Peut alors s’instaurer une pratique « stable » du parlementarisme, qui s’inscrit dans une règle du jeu durable. Or rien n’est moins sûr puisque les députés vont vivre au cours de cette législature sous la « menace » d’une dissolution de l’Assemblée nationale si des blocages réguliers – hypothèse plausible – devaient se produire, empêchant l’exécutif de mettre en œuvre sa politique. La menace de la dissolution n’est donc pas une incitation au compromis rationnel, mais peut au contraire favoriser les postures et les tactiques. Si ces derniers finissaient par empêcher l’adoption de textes majeurs, les blocs d’opposition, désignés comme responsables, pourraient s’en trouver discrédités et affaiblis. Une fois la dissolution prononcée, nous pourrions revenir à la logique majoritaire, toute puissante et sans partage, gommant ce qui serait alors apparu en 2022 comme une « anomalie » électorale, ayant contraint momentanément les parlementaires à tenter en vain des compromis.

On a pu enfin noter certaines mises en garde du Conseil constitutionnel, par la voix de son président. Pendant la campagne présidentielle, ce dernier s’est élevé contre l’affirmation selon laquelle le référendum l’emporterait nécessairement sur la loi, la constitution et ses grands principes (ceux de 1789, du Préambule de 1946 et de la Charte de l’Environnement de 2004)[76]. Une telle affirmation posait selon lui de vraies difficultés juridiques et n’était donc pas si simple à mettre en œuvre[77]

La volatilité de l’électorat et le risque de l’obsolescence pour les partis d’essence protestataire

A l’heure de la désaffection pour le politique, les cycles électoraux (de cinq ans chez nous) sont à la fois courts pour opérer des transformations de fond, et largement assez longs pour rebattre les cartes politiques en des sens inattendus[78]. Frappés par l’impatience et éruptifs, quand ils ne sont pas dans le désintérêt, les électorats sont de plus en plus erratiques. Les dynamiques peuvent s’inverser rapidement, et tiennent finalement à peu de choses. De multiples facteurs opèrent, qu’il est très difficile d’anticiper et de pondérer. Ils ramènent peu ou prou aux perceptions et aux affects, par essence mouvants, et d’autant qu’ils ne sont plus encadrés par des matrices unificatrices autrefois puissantes (l’opposition droite/gauche, le catholicisme, le communisme…). Même les mouvements d’essence protestataire peuvent être frappés d’obsolescence, dès lors qu’ils n’arrivent pas à tenir l’équilibre délicat entre crédibilité et disruption.

L’effort de conquête du pouvoir que doit réaliser une force politique d’essence protestataire est donc considérable. Tout compte fait, on peut se demander si les partis de gouvernement ne bénéficient pas, face aux blocs « radicaux », d’un certain crédit qui tient à leur position acquise et à la force de l’habitude, ce qui finit par compter à l’heure du vote.

La résignation des électorats

Face à ce qui peut apparaître comme un paradigme néolibéral et européen indépassable, quelles que soient les majorités qui se succèdent, l’électorat d’opposition peut être tenté de se désaffilier politiquement et de s’abstenir, ce dont ne cessent de témoigner les résultats des élections, scrutin après scrutin.

La survivance des digues morales

Même grandement affaiblies, les digues « morales » subsistent encore. On a vu que la thématique de la diabolisation n’avait jamais disparu durant la campagne présidentielle, et pouvait encore occuper l’espace médiatique. Un temps protégée par E. Zemmour tel un paratonnerre, M. Le Pen a vite constaté, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le retour de la dénonciation du mal qu’elle représente aux yeux de l’hyper-centre et du « cercle de la raison ». L’antifascisme a été de nouveau convoqué pour crier au loup et alerter, au nom de la société tout entière, sur les dangers de cette candidate et de son parti. On a pu constater, de fait, que 42% des Français qui ont voté pour E. Macron l’ont fait pour faire barrage au RN[79].

On constate en outre que le front républicain sait élargir sa cible, comme la Nupes l’a constaté à ses dépens à l’occasion des élections législatives[80], quand bien même un certain embarras a gagné la majorité présidentielle dans le cas de seconds tours opposant le RN à la Nupes…

S’il faut contredire la thèse de l’hyper-centre résilient, quelques spéculations, peu engageantes il est vrai…

Les facteurs qu'on vient d'énoncer nous semblent laisser peu de place à une évolution en profondeur des paradigmes politiques et économiques de la France, couplés à ceux qui prévalent au sein des instances européennes (comme il en est aussi, à notre sens, des pays d'Europe occidentale plus largement).

Considérons toutefois l'hypothèse d'un hyper-centre en déclin, qui serait défait à plus ou moins brève échéance par de nouvelles majorités aux choix radicalement différents.

Ces choix seraient, à gauche, en tout cas du côté d'une gauche s'inscrivant dans la filiation de la gauche culturelle : la promotion de l'inclusion, de la diversité et du multiculturalisme poussés à leur comble, la remise en cause du versant économique du néo-libéralisme, essentiellement sous l'effet du changement climatique et de la poussée des thèses décroissantes.

A droite, ce serait l'affirmation de l'identité, de la culture et du « patrimoine » français, le retour aux frontières et le durcissement des politiques d'accueil et d'intégration, la « reprise en main » de la sécurité, le tout en réponse à l’effondrement de l’autorité et à une angoisse civilisationnelle.

Quels seraient les facteurs sur lesquels se jouerait la défaite de l'hyper-centre, en sachant qu'il faudrait probablement que plusieurs de ces facteurs opèrent en même temps, et avec une forte intensité, pour provoquer un « ébranlement systémique » ?

On peut en voir quelques-uns, dont aucun n’est engageant, à l’exception du premier, en ce qu’il correspondrait à une évolution endogène, en espérant que celle-ci soit rendue possible par le choix démocratique des peuples.

Ce premier facteur serait, au plan européen, qu’une majorité de pays partagent des choix suffisamment convergents, en un laps de temps suffisamment rapproché, pour décider d'une refondation des paradigmes européens (le néo-libéralisme, la promotion d'un espace ouvert et de l'inclusion constitués en un socle de valeurs non négociable justifiant rappel à l’ordre et sanctions à l'égard des contrevenants, une vision fédéraliste, et donc de plus en plus intégrative des pays membres aux plans politique, économique et sociétal).

On peut évoquer ensuite la poursuite de la fragmentation et de la dégradation du tissu social : juxtaposition accrue de territoires, de quartiers, de groupes ethniques, de groupes sociaux..., qui, aux deux extrémités du spectre de cette fragmentation, soit subissent et « vivent comme ils peuvent » leur isolement et leur déclassement, en l'exprimant périodiquement de façon éruptive (à l'instar des gilets jaunes), soit rejettent la différence, affirment leurs particularismes et ne se reconnaissent plus dans une société, voire dans une nation qui, à leurs yeux, constitue un contre-modèle à fuir ou à combattre.

On peut penser également à la croissance de l'insécurité, perçue comme de plus en plus proche et ordinaire, et touchant des territoires ou des zones naguère épargnés.

Mais aussi l’explosion de l'immigration, perçue comme hors de contrôle et comme posant des problèmes de plus en plus aigus d'accueil, d'intégration et de sécurité.

Ou encore : une crise économique profonde et durable (!), où se conjuguent raréfaction des sources d'énergie et crise des matières premières, inflation « chronique », dette abyssale devenue insoutenable aux yeux des prêteurs, chômage, le tout générant appauvrissement, disparités béantes, et perte de souveraineté.

Enfin, un conflit armé « de haute intensité », si ce n'est sur le sol de l’UE, en tout cas engageant plus directement le pays et causant des pertes humaines, matérielles et financières importantes.

Le cas de la crise climatique est complexe, nous l’avons dit. S’il y a objectivement toutes les raisons de s'en inquiéter et de s'en occuper urgemment (compte tenu des travaux du GIEC depuis 1990), il nous semble que son caractère planétaire et les remises en cause concrètes et profondes auxquelles elle conduit vont nécessiter encore du temps avant que le paradigme de la croissance, qui oriente notre idée du développement économique depuis la période industrielle, ne soit contesté.

En conclusion…

Tout un ensemble de facteurs dessinent encore un plafond de verre pour les blocs d’opposition « radicaux »[81]. Si l’hyper-centre se maintient par sa dynamique propre, il bénéficie aussi d’un ensemble de facteurs limitants pour les blocs d’opposition.

L’hypothèse d’un hyper-centre résilient, dans un contexte où la contestation – silencieuse ou vociférante – devrait s’accentuer sans que d’autres options n’apparaissent clairement, conduit à mentionner le risque du blocage démocratique. Blocage démocratique qui questionne le consentement de la population à une politique qui ne serait pas qu’un ensemble de mesures de gestion, ou l’expression minimaliste de la seule volonté de préserver la stabilité et de contenir les protestations.

Un « drôle de système », avec des institutions et des élections démocratiques (permettant théoriquement l’alternance), mais, dans les faits, une situation verrouillée, qui ne pourrait qu'alimenter le sentiment d'impasse et d'inutilité, le désintérêt citoyen, l'abstention et, au bout du compte, la fragmentation elle-même.

Ce sentiment de blocage, que l'on voyait se répéter au vu du 2nd tour des présidentielles, est heureusement relativisé par une situation quasi-inédite dans notre Vème République : un président fraîchement élu avec 58,5% des voix n'obtient qu'une majorité relative, rendant nécessaires des majorités d'idées ou des alliances.

La situation de l'Assemblée nationale constitue peut-être l'opportunité de tester enfin le principe du plus haut compromis, en lieu et place du réflexe majoritaire qui lui a bien peu laissé de place jusqu’à présent.

En somme, pour les partisans de l’hyper-centre néolibéral et européen, mettre vraiment en pratique le dépassement des clivages sur lequel il a été promu, loin des seules tactiques pour conserver le pouvoir. Ou comment passer de l'hyper-adaptation, dont on a vu les limites, à une posture concrète de recherche de l'accord sur une politique qui voit loin et accepte de s’amender.

Une majorité sur des idées qui redonnerait donc ses lettres de noblesse au contrat politique et civil, au sein d’une Assemblée enfin davantage représentative de la diversité des courants d’opinion. Une Assemblée retrouvant de la vigueur, sauvée de l’affaiblissement chronique, et non plus considérée par l'exécutif comme une chambre d'enregistrement.

Évidemment, il s’agit d’une rupture de fond, de LA rupture de fond, car elle devrait venir d’abord de l’hyper-centre lui-même et se réaliser par volonté.

L’horizon à poursuivre ? Rechercher l'intérêt du pays dans toutes ses composantes, mais aussi ce qui dépasse ces intérêts et devrait les fédérer : la place, le rayonnement, l’art de vivre, les valeurs du pays, en cohérence avec ses fondations, et qui expriment sa singularité. Assurer la continuité d’un pays dont les représentants n’exercent le pouvoir que de façon temporaire et s’inscrivent dans une histoire qui les englobe et les dépasse…


[1] Cet effondrement est le corollaire, pour Les Républicains, du départ de nombre de ses électeurs vers E. Macron (La République en marche, devenu Renaissance), E. Zemmour (Reconquête!), ou encore (plus anciennement) vers M. Le Pen (Rassemblement National). Les électeurs ayant quitté le Parti Socialiste ont rejoint majoritairement E. Macron ou La France Insoumise (LFI) de J-L. Mélenchon. [2] La Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) regroupant La France Insoumise (LFI), Europe Ecologie Les Verts (EELV), le Parti Socialiste (PS) et le Parti Communiste Français (PCF). [3] La majorité présidentielle n’a obtenu qu’une majorité relative, avec 245 députés, soit un déficit de 44 députés pour atteindre le seuil de la majorité absolue. Cela ne s’était produit qu’une seule fois, entre 1988 et 1993, et la majorité de l’époque, avec 275 sièges, n’accusait pas un tel écart. Pourtant, deux mois plus tôt, E. Macron était réélu avec 58,5% des voix. [4] Sur les différences entre valeurs de la gauche sociale et valeurs de la gauche culturelle, voir par exemple (2009). 4. Articuler gauche culturelle et gauche sociale : vers la parité de participation. Dans : Revue Mouvements éd., Pensées critiques : Dix itinéraires de la revue Mouvements 1998-2008 (pp. 69-87). Paris : La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.mouve.2009.01.0069 : « Il y a une division importante entre la « gauche sociale » et la « gauche culturelle ». Issue de la génération de soixante-huit et des générations antérieures, la gauche sociale a été influencée par le marxisme – même si, entre-temps, certains de ses représentants sont devenus anti-marxistes. Aujourd’hui encore, elle insiste sur l’importance fondamentale de l’exploitation économique et de l’inégalité sociale, et considère que le projet de la gauche consiste à les redresser. La gauche culturelle est composée d’une génération plus jeune qui a atteint sa majorité à l’âge de la politique identitaire (identity politics), qui n’a jamais connu une gauche mélangée, pouvant comprendre hommes et femmes, Noirs et Blancs. Sa seule expérience du militantisme se limite à l’affirmation du particularisme d’un groupe ou d’un autre ; elle se concentre sur des questions de culture, de représentation et d’identité, de multiculturalisme… ». Ces propos disent bien la matrice originelle de la gauche culturelle américaine et tendent comme un miroir à la gauche française, qu’elle influence directement. [5] Le PCF, que les convictions et la tradition poussent vers l’action révolutionnaire, ne voit pas dans les élections, apanage d’un régime bourgeois, le premier vecteur de la prise du pouvoir. [6] Les valeurs de la gauche culturelle trouvent en mai 68 un moment de cristallisation. Il est probable, toutefois, qu’elles aient prospéré sur un partage des rôles plus ancien, si ce n'est voulu, en tout cas accepté par De Gaulle : du côté du Gaullisme au pouvoir, le progrès économique et industriel et un certain réformisme social dans le cadre d'une souveraineté affirmée et de coopérations européennes contrôlées et sans excès ; la culture du côté d’une gauche imprégnée d'idéaux révolutionnaires, qu’entretiennent les régimes socialistes phares de l’époque (l’URSS, Cuba), ferments d'un autre homme et d’une autre société à faire advenir. [7] Le traité de Maastricht (1992) marquera son affaiblissement spectaculaire. [8] C’est aux cantonales de 1976 que le PCF est devancé par le PS pour la première fois depuis 1945. Confirmation en 1977, lors des élections municipales, où le PS passe devant le PCF. [9] Le PS naît en juillet 1969 de la fusion de la SFIO avec l'Union des clubs pour le renouveau de la gauche. [10] C’est le Congrès d’Epinay-sur-Seine, en 1971. Congrès de refondation unitaire du PS, qui décide d’abandonner ses alliances au centre et à droite pour réaliser l’union de la gauche avec les communistes. Congrès au terme duquel F. Mitterrand est élu Premier secrétaire du PS, dont il n’était même pas adhérent quelques jours auparavant… [11] Le programme commun de la gauche est signé en 1972 entre le PCF, le PS et les radicaux de gauche. [12] Slate, Le PS ruiné par son ex et par son meilleur coup d'un soir, 24 avril 2017. [13] F. Mitterrand était déjà le candidat unique de la gauche en 1965, où il avait surpris face au Général De Gaulle (45% des voix au second tour). Mais les divisions de la gauche, entre PCF d’un côté et gauche non communiste elle-même désunie de l’autre, avaient abouti à l’échec des élections législatives de 1968 puis au fiasco des présidentielles de 1969, où son candidat – G. Defferre – n’avait obtenu que 5% des suffrages. [14] Cf. https://wikirouge.net/Histoire_du_Parti_Communiste_Fran%C3%A7ais#cite_ref-11. [15] Hatzfeld, H. (2007). Une révolution culturelle du parti socialiste dans les années 1970 ?. Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 96, 77-90. https://doi.org/10.3917/ving.096.0077 [16] Titre donné au programme du Parti socialiste adopté en 1972. [17] Soit le Mouvement des Radicaux de Gauche (MRG), et un certain nombre de divers gauche alliés. [18] « . . . J’ai fait un rêve. . . » Le président François Mitterrand, artisan de l’Union européenne. (2019, 5 janvier). Persée. https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1985_num_50_2_3467 [19] L’Europe occupe explicitement 3 des 110 propositions portées par F. Mitterrand. Placées dans une première partie intitulée « La paix : une France ouverte sur le monde », elles doivent servir « une France forte dans une Europe indépendante ». On y voit une conception de l’Europe poursuivant l’esprit du traité de Rome sur le Marché commun, puissance d’équilibre et de pacification, purgeant sa géographie des arsenaux nucléaires tant américain que soviétique, mais aussi protectrice aux plans économique et social, et devenue plus démocratique. [20] https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/ [21]Lors du meeting de la Porte de Pantin le 10 février 1977. [22] Appel de Cochin du 6 décembre 1978. On y entend aussi : « Comme toujours quand il agit de l’abaissement de la France, le parti de l’étranger est à l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante ». [23] Lors des élections européennes de 1984, le RPR fait cause et liste communes avec les centristes de l’UDF. [24] Cf. https://www.nouvelobs.com/politique/20180221.OBS2520/des-annees-1980-a-macron-comment-s-est-imposee-l-idee-du-probleme-de-l-immigration.html : « En 1986, la droite de Jacques Chirac propose de revenir sur le droit du sol, en instituant une démarche volontaire pour obtenir la nationalité française, et reprend de facto l'idée du FN qu'il y aurait des "Français de papier". ». [25] Cf. https://www.vie-publique.fr/discours/227706-convention-des-etats-generaux-de-lopposition-sur-limmigration : « Nous affirmons que la France ne peut plus être un pays d'immigration » ; « Nous affirmons notre volonté de fermer les frontières ». [26] En 1991, Jacques Chirac évoque une « overdose d'immigrés » ; en 1993, Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, souhaite durcir la législation et « tendre vers une immigration zéro ». [27] Pas plus qu’il ne les avait infléchis entre 1986 et 1988, au moment de la première cohabitation. [28] En 1985, Mitterrand répond à la demande de J-M. Le Pen, qui se plaint de ne pas passer dans les émissions politiques à la télévision : il lance un appel au pluralisme. Il introduit le scrutin proportionnel aux législatives de 1986, dont les partisans défendent la nécessité afin que toutes les couleurs politiques soient représentées à l'Assemblée. Sous l'effet de la médiatisation de J-M. Le Pen et du changement de la loi électorale, le FN obtient 35 députés, limitant la victoire de la droite. « Cela a fait partie de la tactique électorale », expliquait en 2011 l'ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas. Ce dernier avait alors indiqué que le changement de mode de scrutin ne manquait pas de calcul : « Il y avait la raison apparente et l'arrière-pensée, peut-être. Il n'y a rien de critiquable dans une démocratie que de permettre aux gens de s'exprimer... même si c'est tactique ! ». Il faut noter que cette thèse a été contestée par J. Glavany, lui aussi ancien ministre : « Roland Dumas a toujours le talent pour faire naître des polémiques et il y a quelque chose de machiavélique dans son approche. Non, c'était dans le programme du Parti socialiste en 1981. Et c'était toujours dans le programme du Parti socialiste en 2017. ». Au-delà de cette tactique d’affaiblissement de la droite, la poussée du FN doit aussi certainement à l’orientation néolibérale et européenne du RPR, laissant orphelin un électorat sensible aux positions souverainistes. [29] C’est la plus grande victoire stratégique de la gauche : tracer la ligne de l’interdit pour ses adversaires. La droite, depuis les années 80, ne sort pas de cette ligne de démarcation, qui a pénétré profondément sa psychè, quelles que soient les évolutions programmatiques du FN puis du Rassemblement National (RN) par ailleurs. Dans le même temps, une démarcation analogue n’a jamais opéré entre la gauche socialiste ou sociale-démocrate, que l’on peut regrouper sous le vocable « gauche de gouvernement », et la gauche d’inspiration révolutionnaire. Ceci a permis une véritable asymétrie des alliances, profitable à la gauche. [30] L’autorité, l’ordre, la tradition, la conservation… [31] Francis BALLE, « LIBÉRALISME », Encyclopædia Universalis [32] J. BAECHLER, Qu'est-ce que l'idéologie ?, Gallimard, Paris, 1976. [33] A gauche, le Parti communiste, certains socialistes (J-P. Chevènement) et les écologistes (Les Verts) se prononcent contre ce traité ou pour sa renégociation. [34] A droite, du côté du RPR qui laisse la liberté de vote, le trio Seguin – Pasqua – Villiers incarne l’opposition au Traité, tandis que J. Chirac et E. Balladur se prononcent en faveur du « oui », tout comme, au centre – droit, l’ancien président V. Giscard d’Estaing et son Premier ministre lors des cinq dernières années de son septennat, R. Barre. [35] On pense par l’exemple à l’ouverture, le 17 mai 2013, « de nouveaux droits pour le mariage, l'adoption et la succession, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés ». Cf. https://www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous. [36] J. Chirac obtient 82% des voix au second tour. [37] Lutte Ouvrière, la Ligue Communiste Révolutionnaire, devenu en 2007 le Nouveau Parti Anticapitaliste. Mais aussi le Parti de Gauche, créé en 2009 notamment par J-L. Mélenchon, à la suite de son départ du PS. Et le PCF, bien sûr. [38] J-P. Raffarin, D. Cohn-Bendit, M. Aubry, S. Royal, F. Bayrou, D. Strauss-Kahn… N. Sarkozy et F. Hollande font ensemble la couverture de Paris Match pour soutenir le Oui. Du côté du Non, des opposants à droite (J-M. Le Pen et le FN, P. de Villiers et son Mouvement pour la France, C. Pasqua et son Rassemblement pour la France, N. Dupont-Aignan au sein de l'UMP…). A gauche, l’aile gauche du PS, L. Fabius, J-P. Chevènement, le PCF, les trotskystes du Parti des Travailleurs... [39] Le Non l'emporte largement avec 54,6 %. Les jeunes et les classes populaires ont fait la victoire du « Non ». On constate une fracture entre des territoires périphériques, perdants de la mondialisation, soutiens du « Non », et des métropoles bien intégrées à la mondialisation, qui ont massivement voté pour le « Oui ». [40] Cf. https://www.vie-publique.fr/fiches/20315-quest-ce-que-le-traite-de-lisbonne. [41] cf. Schonfeld, W. (2017, 17 décembre). Le RPR et l’UDF à l’épreuve de l’opposition. https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1986_num_36_1_394233 [42] On a assisté au triomphe de l’Etat-providence dans des proportions inédites pendant la crise du covid. Près de 150 milliards ont été investis en mesures d’urgence, chômage partiel, plans de relance. Entre 2019 et 2022, la dette publique française devrait augmenter de 16 points de PIB, contre 12 pour la zone euro. Selon le ministre des Comptes publics, l’épidémie de Covid va coûter 424 milliards d’euros aux finances publiques en France pour les années 2020 à 2022. [43] En empruntant au populisme, l’hyper-centre fait en sorte de ne pas lui abandonner le registre de l’émotion et de l’authenticité. En se rapprochant de lui dans les mots, il ne veut pas lui en laisser le bénéfice, et il entend montrer qu’il n’ignore rien des sentiments, mêmes les plus bruts, qui traversent certaines catégories de la population. La montée du populisme a ceci d’utile pour l’hyper-centre qu’il peut le libérer de ses préventions face au « parler vrai et cash », et lui permettre de l’utiliser à son profit dans ce qu'il a de sincère et de proche des « vrais gens ». A minima l’espoir d’en tirer un bénéfice d'image, au mieux celui d’emporter l'adhésion. Au sein d’une société crispée et éruptive, à laquelle certains réseaux sociaux offrent une caisse de résonance et dont ils sont le symptôme, il y a de fortes chances que de tels propos soient de mieux en mieux tolérés et de plus en plus efficaces. C’est ainsi qu’au sein du monde policé de l'hyper-centre (en tant que « cercle de la raison » face aux extrémismes), on assume certains propos quand on en est l’auteur tandis qu’on les qualifie de dérapages lorsqu'ils émanent d'un autre bord, et on s'emploie même à les justifier. Pour autant, quand il s'agit du programme, l’hyper-centre reste sur ses bases et ne concède que le moins possible à ses adversaires populistes ou conservateurs, au sens d'un calcul de risques, et toujours dans le but de conserver l'ascendant dans l'opinion, et avec lui le pouvoir. [44] Où la majorité présidentielle n’a donc obtenu que 245 députés, ce qui ne s’était produit qu’une seule fois, entre 1988 et 1993, contraignant les premiers ministres successifs de l’époque – M. Rocard, E. Cresson et P. Bérégovoy – à rechercher des majorités d’idées et à pratiquer le 49-3 à 39 reprises… [45] Ce qui est le propre de tout pouvoir dynastique. [46] L’analyse de l’électorat de Renaissance montre qu’il englobe en premier lieu les plus jeunes (18-25 ans), les retraités, les catégories diplômées, avec un certain niveau de revenu… [47] Sur l’illibéralisme, voir l’article de P. Rosanvallon, « Fondements et problèmes de l’illibéralisme français » en 2001 (site de l’académie des Sciences morales et politiques) : « On appellera illibérale une culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale. Il ne s'agit donc pas seulement de stigmatiser ce qui constituerait des entorses commises aux droits des personnes, marquant un écart plus ou moins dissimulé entre une pratique et une norme proclamée ». L'illibéralisme emprunte également à la définition élaborée à la fin des années 1990 par le journaliste américain Fareed Zakaria dans son article « The Rise of the illiberal democracy », publié dans Foreign Affairs. Un État illibéral serait celui dans lequel le suffrage universel apparaît comme la dernière – et donc la seule – manifestation de la démocratie. Il s'agit de pointer du doigt l'écrasement des contre-pouvoirs et des corps intermédiaires, qu’ils soient médiatiques, intellectuels, institutionnels ou syndicaux. [48] La protection de la santé est un objectif de valeur constitutionnelle, mais on peut se demander si l’imposition du passe vaccinal, dont les autorités politiques et sanitaires ont reconnu elles-mêmes qu’il était peu opérant, et qu’il visait en fait à pousser à la vaccination, n’est pas typique d’un hyper-centre autoritaire, touchant en l’occurrence aux libertés publiques. [49] Face à la Russie, l’adoption de six trains de sanctions (ce qui nécessitait l’unanimité), dont l’embargo progressif sur le pétrole russe d’ici fin 2022 (sauf pour la Hongrie et la Slovaquie). Dans le domaine de l’information, la suspension de cinq médias russes… [50] Il faut probablement remonter aux lendemains de la seconde guerre mondiale pour voir le leadership américain s’exprimer de façon aussi évidente. [51]E. Macron a tenté d’exprimer une position française plus singulière sur la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. C’est l’idée de la France comme puissance d'équilibre, héritée de la vision gaullienne : un soutien clair à l’Ukraine, sans pour autant renoncer au dialogue avec Moscou et verser dans l’escalade, afin de laisser aux compromis leur chance. Cette position a été très compliquée à tenir devant la pression ukrainienne, face à l’unanimisme des pays occidentaux et à l’émotion des opinions publiques, tandis que les pourparlers avec V. Poutine, dénoncés par V. Zelensky, ont semblé infructueux pour la crédibiliser. [52] En France, les milieux d’affaire sont largement favorables aux programmes néo-libéraux. Dans un communiqué, le Medef a estimé le 11/04/22 que le « programme d'Emmanuel Macron [était] le plus favorable pour assurer la croissance de l'économie et de l'emploi ». Dans le même temps, il alertait « sur les conséquences de celui de M. Le Pen », qui « conduirait le pays à décrocher par rapport à ses voisins et à le mettre en marge de l'Union européenne », et « dégraderait la confiance des acteurs économiques, réduisant ainsi les investissements et les créations d'emplois ». Il dénonçait aussi dans ce même programme la « hausse très forte et non financée des dépenses publiques ». Le Medef avait déjà soutenu E. Macron contre M. Le Pen lors des élections présidentielles de 2017 : son dirigeant de l'époque, P. Gattaz, avait dit être prêt à faire de la « résistance » si M. Le Pen était élue, la jugeant « extrêmement dangereuse par son programme économique et social ». [53] Cf. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:broad_ec_pol_guidelines. Adoptées par le Conseil de l’UE sur la base de recommandations de la Commission, les GOPE définissent des orientations de politiques macroéconomiques et structurelles visant à coordonner les politiques économiques des pays de l’UE de manière à atteindre des objectifs communs. L’article 121 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) exige des pays de l’UE qu’ils considèrent leurs politiques économiques comme une question d’intérêt commun et qu’ils les coordonnent au sein du Conseil. Si elles ne sont pas théoriquement contraignantes, un État peut être sanctionné lorsque celui-ci présente un plan de mesures correctives insuffisant à la suite de deux recommandations successives du Conseil (cf. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32011R1174 : dans son article 1er, on lit que « le présent règlement établit un système de sanctions aux fins de la correction effective des déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro ». Les sanctions sont décrites à l’article 3). [54] A propos du covid : le fonds européen pour la relance, la réorientation des fonds de l'UE pour aider les États membres qui en ont le plus besoin, le soutien aux secteurs les plus touchés… Au total, un plan de relance global de 2 364,3 milliards d'euros. [55] Les exemples sont nombreux. Les premiers ministres espagnol et portugais, P. Sanchez et A. Costa, ont appelé à choisir le « candidat démocrate », dans une tribune pour Le Monde. Le chancelier allemand, O. Scholz, a salué la réélection d’E. Macron, la voyant comme « un signal fort en faveur de l’Europe ». Le commissaire européen au marché intérieur, T. Breton, a dénoncé le fait que le projet de M. Le Pen nécessitait un Frexit. Au-delà des frontières de l’UE, le président des Etats-Unis lui-même a manifesté son soutien. Et même le Brexiter B. Johnson s’est dit « heureux de continuer à travailler avec E. Macron ». [56] Cet instrument permettra à la BCE, sous conditions donc, d’acheter des titres financiers, notamment des obligations publiques et privées, émis dans les pays connaissant une détérioration de leur accès au crédit. Il diffère des programmes d’achats de titres, comme le Programme d’Achats d’Urgence face à la Pandémie, car ces derniers concernaient l’ensemble des pays de la zone euro. [57] D'un côté, la prise en compte des intérêts économiques et des entreprises, ce qui tend à plaider pour des transitions progressives, de l'autre, la pression de l'urgence climatique, qui pousse à des mesures rapides, tranchées et contraignantes. [58] Dans une tribune parue le 03/07/22, on a pu noter l’appel lancé par 84 dirigeants « pour passer d'une sobriété d'urgence à une sobriété organisée ». Une semaine plus tôt, les patrons des trois énergéticiens français TotalEnergies, EDF et Engie avaient appelé les Français à réduire immédiatement leur consommation de carburant, de pétrole, d'électricité et de gaz devant le risque de pénurie menaçant « la cohésion sociale » l'hiver prochain. [59] Avec un « secrétariat général à la Planification écologique » placé auprès de la première ministre, chargé de « coordonner l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire » et de « veiller à la bonne exécution des engagements pris par tous les ministères en matière d'environnement ». [60] Par exemple, la variole du singe, d'origine africaine, désormais en Amérique du Nord et en Europe. [61] Si on s’appuie sur le vieil outil de la pyramide de Maslow, on peut dire que les populations centrées sur les besoins physiologiques et les besoins de sécurité vont, de façon relative, peu investir d’autres besoins qui constituent des leviers importants de changement dans les sociétés modernes (les besoins d’estime et d’accomplissement, surtout), où les besoins premiers sont assurés. [62] Voir par exemple Fourquet, J. (2019). L'Archipel français, Naissance d'une nation multiple et divisée. SEUIL., Guilluy, C. (2015). La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires (Champs actuel). FLAMMARION. [63] Force est de constater qu’aucune autre tentative comparable ne s’est produite depuis. Grève de décembre 1995, mouvement « Nuit debout », « Comité Adama » en sont loin. Les Gilets jaunes ont été un phénomène d’une toute autre ampleur, mais qu’on ne peut qualifier de mouvement coagulé puisqu’il a surtout correspondu au surgissement des « gens invisibles ». [64] Mot forgé par Dwight Ozard et Fred Clark en 1995 pour désigner l’activisme dit paresseux, qui se développe avec les réseaux sociaux. Il s’agit d’un militantisme purement numérique (publier ou relayer un tweet, liker un message, signer une pétition en ligne, partager un événement sur son réseau…), qui satisfait l’émotion de son auteur mais traduit un faible niveau d’engagement puisqu’il est économie de l’effort. [65] Les gilets jaunes… Il y a plus longtemps, les printemps arabes… [66] Autour de l’idée que le travail est divisible et partageable, et qu’en travaillant moins (ce qui induit une atténuation de la valeur travail pour soi-même), on permet à davantage de personnes d’accéder au travail. La diminution du temps de travail doit aussi libérer du temps pour d’autres activités, qui peuvent être aussi productives ou utiles à la société (loisirs, temps en famille, projets personnels, engagements associatifs…). [67] « Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information » : https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-et-la-fatigue-informationnelle-mutations-et-tensions-dans-notre-rapport-a-linformation/ [68] La réaction de LR à l’annonce des mesures du candidat E. Macron le 17/03/2022 a été révélatrice. E. Macron a d’abord été qualifié « d'homme photocopieuse » par le compte Twitter des Républicains avant que le tweet ne soit retiré. De son côté, V. Pécresse a tempéré le propos pour affirmer que son projet et celui d’E. Macron étaient très différents. Pour sa part, ce dernier avait déclaré qu’il incombait à ses opposants de savoir se différencier… [69] Selon l'Eurobaromètre réalisé en octobre / novembre 2021 par les institutions européennes (https://webgate.ec.europa.eu/ebsm/api/public/deliverable/download?doc=true&deliverableId=78744). Majorité forte dont on peut seulement dire qu'elle est légèrement inférieure à celle de la moyenne de la zone euro (69%). [70] Cf. les propos du conseiller spécial de M. Le Pen, Philippe Olivier : « Nous allons être combatifs, mais dans le cadre des institutions. De manière sobre, réfléchie et maîtrisée. Nous serons d’autant plus perçus comme responsable et républicain que La France insoumise apparaîtra débraillée et irresponsable. » [71] Le RN aura refusé de censurer le gouvernement après la déclaration de politique générale de la première ministre non suivie du traditionnel vote de confiance. Avant la pause estivale, le RN aura pratiqué le 1-1-1 : opposition massive à l’état d’urgence sanitaire, abstention sur le projet de loi de finances rectificatives, soutien au texte consacré au pouvoir d’achat. [72] Discours de campagne à Milan mi-septembre 2022. [73] Voir notamment : https://www.levif.be/international/europe/italie-ce-que-contient-le-programme-de-giorgia-meloni-la-leader-dextreme-droite-grande-gagnante-des-elections%ef%bf%bc/ [74] Entre LFI et le RN, on a pointé, si ce n’est des communautés de vue, du moins des compatibilités sur le plan économique et social (par exemple, autour de la question de la retraite à 60 ans). Mais on constate leur divergence irréductible sur les « valeurs »… [75] Le succès de la Nupes est réel, avec un total de 149 députés, mais il semble d’abord tactique. La Nupes a perçu les dividendes de l’union, puissant levier dans l’imaginaire de gauche, plus qu’il n’a bénéficié d’un déplacement de l’opinion vers la gauche : au 1er tour des élections législatives, le cumul des voix de gauche (toutes tendances confondues) représentait à peu près 33% des suffrages exprimés (7,5 millions de voix) tandis que les voix de gauche regroupaient près de 34% des suffrages exprimés (7 millions de voix) au second tour. [76] Affirmation soutenue par de nombreux candidats à l’élection présidentielle, notamment à droite et à l’extrême droite. [77] L. Fabius : « Ceux qui, comme le général de Gaulle en 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel, estiment pouvoir s’appuyer sur l’Article 11 et le seul référendum pour réviser la constitution ont tout faux. D’abord, parce que n’est pas le général de Gaulle qui veut. Ensuite, parce que toute révision de la Constitution doit se fonder non sur l’article 11 mais sur l’article 89, article qui ne prévoit un référendum que si le projet de révision ne recueille pas le vote des trois cinquièmes des parlementaires. » (intervention du 06/01/22). [78] Voir par l’exemple l’irruption d’E. Zemmour, avec son parti Reconquête!, qui n’était pas loin, dans les intentions de vote, moins de deux mois avant le premier tour, de disputer la « finale » face à E. Macron. [79] Sondage Ipsos-Sopra Steria réalisé du 21 au 23/04/22 pour Radio France, France Télévisions, France 24, les chaînes parlementaires et Le Parisien-Aujourd'hui en France. [80] Lors de sa déclaration de politique générale, la Première Ministre a cité tous les présidents de groupe parlementaire à l’exception de ceux du RN et de LFI… [81] Expression évoquée depuis 2017 pour désigner l’incapacité du Rassemblement National à rallier la majorité des suffrages.


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