La résilience chinoise
Dernière mise à jour : 12 janv. 2022
En 2020, la Chine aura enregistré une croissance de 2,3% de son PIB, après avoir amorcé une reprise à l'été, qui s'est accélérée au quatrième trimestre.
Deux moteurs essentiels auront alimenté ce dynamisme qui dénote avec la plupart des économies développées : des investissements massifs, alors que cette économie avait opté ces dernières années pour une certaine retenue en la matière, et une forte demande extérieure, particulièrement en matériel médical (+40%) et en matériel informatique (en soutien au développement des services et du télétravail).
Compte tenu d'une consommation interne bien moins dynamique que celle de ses clients à l'international, l'économie chinoise a peu importé, son excédent commercial s'en trouvant dopé de 27% à 535 milliards de dollars, dont 317 milliards d'excédent vis-à-vis des États-Unis... A ce jour, les prévisions de la Banque Mondiale et du FMI tablent pour ce pays sur une croissance de 7,9% en 2021.
L’ancrage chinois dans la mondialisation
La dynamique de la Chine montre combien les chaînes de mondialisation autour de ce pays sont fortes et ancrées. Comme si l'écart des économies occidentales avec la Chine, spectaculaire à la « faveur » de la pandémie, manifestait l'effet de ciseaux qui s’est accentué peu ou prou pour elles.
Cet effet de ciseaux tient d’un double phénomène qui les touche.
D'une part, elles misent sur l’économie de la connaissance, censée leur permettre de garder un temps d’avance dans une approche de la division du travail où l'essentiel de la valeur resterait chez elles, tandis que les fonctions d'atelier s'optimiseraient pour elles à l'est, dans les économies émergentes ou en développement. Mais ce mouvement est hétérogène jusqu’à présent dans les économies occidentales, et très inaccompli chez certaines, tant elles ne l'ont pas toutes pris d’un même pas ni avec la même énergie, alors qu'elles se sont pourtant toutes déplacées vers les services[1].
D’autre part, elles ont délégué une part significative de leur production industrielle au "continent" chinois, profitant de coûts bas et de la montée des standards dans ce pays - notamment sous l'effet des normes qu'elles ont édictées - et en acceptant de nombreux transferts de technologies. Ce phénomène est très accompli, à l'inverse du premier : ces transferts, qui sont des transferts de valeur ajoutée, faut-il le rappeler, se sont faits dans un mouvement d’entraînement et/ou de glissement quasi continu depuis trente ans (et qui provoquent l'effarement de commentateurs et de responsables politiques lorsque ces transferts touchent à des domaines « célébrés » aujourd’hui comme stratégiques, comme la santé…).
De son côté, face à ce double mouvement, la Chine a joué pleinement avec son jeu. Elle a d'abord rempli ce rôle d'usine confié par ses clients occidentaux, rôle qu'elle continue largement d'assumer même si ces derniers ont opéré une certaine diversification (la Chine reste à l'origine de 28 % de la valeur ajoutée de la production manufacturière mondiale). Elle a ensuite investi, par une stratégie planifiée, des secteurs à forte valeur ajoutée qui n'étaient pas historiquement son apanage (aéronautique, nucléaire et énergie, NTIC, automobile et transports urbains, électronique ou médical...). Et pour mener à bien cette combinaison d'une usine tournant à plein régime et d'un développement par le haut, elle a su tirer parti de la singularité de son "modèle" fait d'un capitalisme d’État assumé, constamment protecteur pour garder la main sur son économie et décider des entrants, et captateur de technologies, lui permettant de combler ses retards puis de développer une innovation de pointe. C'est ce "modèle" qui rend asymétrique la compétition entre la Chine et les économies occidentales.
[1] On peut s'inquiéter, par exemple, de la situation de la recherche française, dont le diagnostic de l'affaiblissement n'est pourtant pas nouveau.
De puissants ressorts de résilience…
Sans prétendre rendre compte des multiples causes de la résilience et de l'efficacité chinoises, quelques-unes attirent l'attention, qui tiennent surtout aux ressorts du système et du projet de ce pays.
Tout d'abord, sans embarras pour les libertés fondamentales, la Chine utilise la vitesse d'exécution que lui permet le caractère totalitaire de son régime. La "chaîne de commandement" est mobilisable rapidement, du haut vers le bas, du centre vers la périphérie, au sein d'un système hiérarchisé où les "espaces de discussion et d'interprétation" sont étroitement "dosés" (!), et où les normes et la bureaucratie, pourtant lourdes, peuvent être mises au pas de la décision politique et économique, singulièrement en situation de crise.
Cette vitesse d'exécution "capitalise" en outre sur le faible poids d'une opinion publique qui n'oblige pas le régime, et qu'il gère à la fois comme un risque à maîtriser (en témoigne le gigantesque système de contrôle social mis en place) et comme un levier à mobiliser (quand il faut en appeler à la fierté nationale et démontrer la réussite du pays face à des puissances occidentales perçues comme dépassées).
Un retour rapide à des taux habituels de croissance pour ce pays est vital pour soutenir sa course au PIB, qui entre dans son projet hégémonique (dont les autorités chinoises ne se cachent pas). Ce chemin hégémonique suit des étapes, dont la capacité à s'imposer comme la première économie mondiale selon un calendrier planifié (ce qui pourrait se produire en 2028 en l'état actuel des dynamiques de croissance en Chine et aux États-Unis).
Le dogme de la croissance doit assurer de surcroît le maintien du pacte social inauguré par Deng Xiaoping à la fin des années 70 : le développement-enrichissement ET le régime du parti unique. Ou encore : le régime du parti unique pour l'efficacité économique et le développement, l'efficacité économique et le développement comme contrepartie au parti unique et à son rôle de "gardien du temple chinois" contraignant la population à un système de liberté ordonnée et surveillée.
Enfin, aller vite constitue un argument de puissance et d'image pour le régime, particulièrement en période de crise. Un redressement rapide doit permettre d'isoler « l’épisode » du covid comme il en serait de parenthèses, que la Chine – et le monde – pourront regarder comme un événement incident qui n’aura ralenti que conjoncturellement la marche du pays. Bien plus, cet épisode pourra être vu, aux yeux de la Chine, comme une étape du renforcement du leadership qu’elle est en train d’acquérir. Dans un tel contexte de crise, le rétablissement spectaculaire de la croissance doit démontrer, pour le régime à destination de sa population, la résilience et l’efficacité dont l’économie chinoise est capable, et avec elles la supériorité de son modèle de développement.
En conclusion
Dans un paysage d’économies occidentales affaiblies (et qui vont devoir réaliser un sursaut), le redressement rapide de la Chine produit comme un effet de loupe sur la différence des dynamiques de croissance. Bien sûr, tout ceci n’a rien de nouveau, mais les économies occidentales dans leur ensemble paraissent avoir intégré comme une évolution "naturelle" de l'histoire le différentiel de croissance qui les sépare de ce pays[2].
Confortant ses positions, et donc les chaînes de mondialisation autour d'elle, la dynamique chinoise compliquera la réorientation de certains pans des politiques économiques de ses concurrents occidentaux (la fameuse réindustrialisation tant souhaitée dans les discours), si tant est que ces derniers en fassent bien une priorité sur la durée.
Il serait donc temps qu’un programme raisonné et planifié permette de rééquilibrer les débats avec la Chine, ce qui devrait passer par l’accélération de l’économie de la connaissance pour implanter, développer et garder, dans nos pays, les industries de demain.
[2] Malgré l'inflexion qu'a représentée le mandat de Trump sur ce point, quoi qu'on en pense par ailleurs.
